Elles ont trouvé comment cultiver sans engrais chimiques
Justine Lipuma et Christine Poncet développent à Sophia Antipolis des champignons « spéciaux ». Ils permettent d’augmenter la surface des racines des plantes et ainsi de s’affranchir des pesticides
C’est possible de produire écologiquement responsable mais avec de bons rendements, sans épuiser les ressources naturelles et les sols en utilisant des champignons qui se trouvent dans la terre», pose simplement Justine Lipuma. Pour développer ces « bons champignons » et permettre aux agriculteurs de s’affranchir des pesticides et engrais chimiques, la jeune chercheuse azuréenne a créé en octobre 2017 la start-up Mycophyto, à Sophia-Antipolis (1). Avec le concours de Christine Poncet, agronome spécialisée en protection intégrée des cultures et directrice adjointe de l’Institut Sophia Agrobiotech, elle s’apprête à révolutionner le monde de l’agriculture... par la racine des plantes. Elle nous invite à regarder dans son microscope.
Armer naturellement les cultures
«Ces champignons mycorhyziens permettent aux plantes de développer leurs racines et ainsi de multiplier par 100 la surface d’échange entre la plante et le sol. Elles peuvent mieux s’enraciner, et chercher les nutriments essentiels à leur croissance beaucoup plus loin. Elles puisent plus facilement azote, phosphate et potassium. » Et ce n’est pas tout, ces « bons champignons» produisent du phosphate, une denrée rare, dont les ressources s’épuisent. « L’augmentation de la surface racinaire fait aussi un effet barrière contre des pathogènes, et ça protège ainsi la plante. » Accrochée au mur de son laboratoire, une affiche présente comment sa start-up entend relever les défis de l’agriculture. « Pour augmenter la productivité, combattre les stress biologiques et climatiques, acquérir les éléments nutritifs, on a utilisé engrais et pesticides. Une méthode toxique et coûteuse, qui a aseptisé les sols, et engendré des problèmes de santé publique. » Elle veut proposer une autre voie plus respectueuse de l’environnement.
« Former les bons couples »
« Il existe près de 200 variétés de champignons répertoriées, certaines sont utiles pour lutter contre les agresseurs, d’autres pour augmenter les rendements. Aujourd’hui, des spores sont commercialisées, mais il n’existe que deux variétés disponibles sur le marché qui ne sont pas adaptées aux cultures. Or des associations planteschampignons fonctionnent mieux que d’autres. » L’objectif de la start-up est justement
de former les bons couples. D’innover en s’enracinant dans le terroir de la Côte d’Azur. « On part de l’existant, on l’optimise et on le réimplante», explique Justine Lipuma. Avec Christine Poncet, elle propose de nous montrer comment elle procède. Cap sur les serres, situées à un jet de pierre de leurs labos. Sur de grands plateaux, des pots vert et rose sont disposés, dans lesquels se trouvent des plants de tomates, de lavandes... « On a prélevé de la terre dans le Var et les Alpes-Maritimes, et au plateau d’Albion, à côté de Carpentras. »
« Soigner » les plants de lavande
Dans cette terre, se trouvent les fameux «champignons». «On cartographie ainsi ceux qui sont présents sur notre territoire, puis on les multiplie et on sélectionne les souches les plus optimales. » Elle désigne les plants de lavandes. « Pour lutter contre le dépérissement on va “mycorhizer, 10 000 pieds” », note Justine. Et Christine d’enchaîner : « Cette plante est confrontée à un dépérissement qui n’est pas récent, ce phénomène a plusieurs sources : des bio-agresseurs, des causes physiologiques.»
La solution proposée par Mycophyto va permettre à la plante d’être plus robuste pour mieux résister à ces perturbations. « Dans le sol, les prélèvements montrent que la quantité de mycorhizes présente est la plus faible qu’on ait vue, donc on aura forcément des effets bénéfiques. »
Et demain ?
Mycophyto finalise sa phase de recherche développement. «On a un premier client pilote, un industriel de la parfumerie, avec lequel on travaille sur de la co-innovation, pour que le produit fini soit en adéquation avec la demande. » Et la start-up se concentre aussi sur d’autres cultures clé de la région: oléiculture et lavande. Les agriculteurs sont déjà dans les starting-blocks. « On a retiré beaucoup de pesticides du marché, et de nombreuses cultures se retrouvent sans méthodes de lutte efficace. Il y a donc une véritable attente de la part des agriculteurs, de solutions opérationnelles. On propose de l’écologie intensive, c’est-à-dire pas au détriment des rendements. Et ça fonctionne, ce n’est pas une utopie. » Le terreau est favorable à la croissance de Mycophyto. « L’objectif, c’est d’avoir validé en
2019 le process technologique, sur un nombre important de cultures, et mis en place un site de production sur le territoire. D’ici deux ans, on aura des surfaces d’oliviers et de lavande mycorhizées. » Pour pouvoir répondre à la demande, la jeune pousse a prévu de recruter au moins quatre personnes d’ici à 2019, et le double dans les quatre à cinq prochaines années. Avec des profils de techniciens, ingénieurs, biochimistes. Enracinée sur la Côte d’Azur, Mycophyto ne fait que démarrer sa croissance... « verte ».
1. Mycophyto bénéficie du soutien de l’Université Côte d’Azur, dans le cadre de l’IDEX JEDI, qui encourage l’innovation et l’émergence de startups. Les autres soutiens financiers émanent de La Fondation UCA, BPI France, Le Rotary club, Pepite ILAB. Au sein de l’Incubateur Paca Est, elle bénéficie aussi d’un écosystème favorable, l’Inra (Institut national de la recherche agronomique), la proximité de l’Inria (Institut national de recherche en informatique et en automatique), l’Inpi (Institut national de la propriété