Noces de diamant
Le 22 mars 1958, Jean Cocteau officialisait ses fiançailles avec la ville de Menton via l’inauguration de « sa » salle des mariages. Soixante ans plus tard, on baptise de nouveau ce lieu. Restauré
Il y a soixante ans, Jean Cocteau épousait Menton. Après l’avoir longtemps embrassée du regard. Au terme de deux ans de travail dans ce qui était, anciennement, un tribunal, l’artiste livrait son oeuvre à la population: une salle des mariages. Suffisamment atypique pour être inoubliable. Suffisamment chargée en symboles – alliance de mythes anciens et de traditions locales – pour qu’on s’y attache. Jusqu’à ce que la mort nous sépare. C’était le 22 mars 1958. Les décennies sont passées, depuis, et la belle dame avait pris quelques rides. Des fissures qu’il était urgent de combler. De même que son teint, qui avait perdu de sa superbe, se devait d’être ravivé. Dans la perspective de son soixantième anniversaire, on confia donc à une Mentonnaise par alliance, Sophie Ghersi, de lui inoculer un élixir de jouvence.
« Pour que la poésie reprenne son cours »
Et c’est naturellement à la restauratrice que reviendra la mission de prendre en premier la parole pour la – nouvelle – inauguration de la salle. Hier soir. «Ça a été pour moi un immense privilège, amorce-t-elle, au beau milieu de la salle du conseil municipal où le public s’est assemblé, pour l’occasion, dans une union commémorative. La salle des mariages est chère à mon coeur. Parce que je me suis mariée ici. Et parce que la grand-mère de mon mari a coordonné les travaux dans la salle, il y a soixante ans. »
Sophie Ghersi ajoute qu’un chantier de restauration s’apparente d’une certaine manière à une découverte. «On met l’oeuvre à nu. Et on essaie de la regarder avec les yeux de l’artiste. De comprendre sa manière de faire, ses hésitations, parfois. On ausculte les fissures, les fractures à faire disparaître. Pour que la poésie, un temps suspendue, puisse reprendre son cours». La poésie de Cocteau, virus qui se transmet inexorablement à quiconque s’intéresse un jour à l’artiste polymorphe.
«C’est la première fois que la question de la transmission se pose, poursuit la restauratrice. Comment donner la salle aux générations futures sans la trahir ? L’enjeu, selon moi, a été de trouver un équilibre. Ce n’est pas une salle de musée soumise à des heures de visite… » Tout droit venue de Paris pour un événement qu’elle ne pouvait décemment pas manquer, Carole Weisweiller – fille de Francine, la mécène de Cocteau – se saisit du bâton de parole (photo ci-dessus).
Rappelant en premier lieu qu’elle est aujourd’hui «l’un des seuls témoins qui a assisté à la création des fresques». Avant de livrer quelques anecdotes sur celui qui fut un second père. « Contrairement à Santo Sospir ou à la chapelle de Villefranche, où Cocteau dessinait d’un trait unique, il a fait ici un labyrinthe de lignes. Il me disait qu’il était inspiré par les tambours et les masques africains. Il nous a aussi confié que dans les mairies, rien ne nous porte aux songes. » Mais le magicien Cocteau est parvenu, avec sa salle, à «rendre moins sévère la rigueur du code Napoléon ». Et celle qui l’a souvent accompagné à Menton, du côté du Bastion, de poursuivre : «Il prenait plaisir à tatouer les murs. Je ne l’ai jamais vu aussi heureux que quand il grimpait sur un échafaudage.… »
Habitué à vivre en public
Apostrophant le premier couple qui se maria dans la salle – présent hier soir – le maire de Menton, JeanClaude Guibal, souligne combien son prédécesseur, Francis Palmero, avait eu « quelques éclairs de génie ». Comme celui de faire venir Cocteau au Festival de Musique, en 1955. Avant de lui soumettre le projet de la salle des mariages. L’artiste ne put refuser, après avoir reçu un accueil comme il l’aimait. À la fois «luxueux et simple» .Etle maire de citer l’intéressé, dans toute son espièglerie: «Je me suis habitué, pendant mon travail à la mairie, à vivre en public, comme les poissons, les fauves et les singes. Une petite foule, derrière une balustrade, me regarde travailler (...) Il y en a qui me photographient. Il se pourrait qu’ils me jetassent du pain…» De mémoire de Mentonnais, seul du riz a été jeté aux abords de « sa » salle. En soixante ans d’existence. Des visites guidées exceptionnelles sont prévues samedi et dimanche. Rens. 04.92.10.97.10.