À Mougins, des classiques rhabillés pour le printemps
Après s’être penché sur les icônes du Louvre, l’artiste Léo Caillard revisite des statues antiques du Musée de Mougins. Auxquelles il insuffle la vie en les déguisant en hipsters. Saisissant et troublant
T-shirt ou chemise à carreaux, slim, lunettes pilote et smartphone. En affublant une statue classique de quelques marqueurs de notre époque, Léo Caillard, 33 ans, pourrait être soupçonné de vouloir faire du buzz à bon compte. En y regardant de plus près, ce détournement n’a rien de tellement irrévérencieux. Le jeune artiste a étudié attentivement le rapport mystérieux entre les visiteurs et les oeuvres du Louvre. Son observation l’a conduit à cette conclusion : avec la résurgence du hipster (barbe et cheveu généreux, mode décontractée mais stylisée, attitude pouvant évoquer l’idéal du beau chez Phidias), le traceur qui distingue le regardeur d’aujourd’hui du modèle d’autrefois, c’est l’habit.
Dialogue entre passé et présent
Léo Caillard aurait pu dénuder des hipsters et les photographier dans des poses à l’antique. Il a choisi la démarche opposée. Et le résultat est stupéfiant. En mariant les codes du XXIe siècle aux canons gréco-romains, il modifie notre point de vue et le marbre prend vie. La muse Calliope n’est jamais apparue aussi sensuelle ni l’empereur Caracalla aussi déterminé. On reconnaît même l’Apollon du Belvédère, occupé à faire un selfie ! Fini l’ennui, exit l’austérité. De ces « vieilles pierres » naît une humanité où la dérision n’occulte pas la beauté. Ce dialogue entre le passé et un présent pop, coloré, est d’abord une façon de questionner notre société à travers ses codes les plus communément partagés. « Nous sommes tous des individus de représentation. On n’existe que dans le regard des autres », souligne Léo Caillard. En rappelant aussi que, dans l’Antiquité, certaines statues étaient peintes de couleurs vives et, en certaines occasions, revêtues d’une vraie toge. Formé à la photographie aux Gobelins après une première orientation en physique, le jeune homme explore d’autres horizons. Il revisite notamment quelques héros contemporains glanés chez Marvel. Et développe un travail sur l’absence, tout aussi intriguant.
Combat contre le temps
Le principe est génial : un socle nu et, sur le cartel, un flashcode permettant de visualiser une sculpture en 3D via Snapshat. Cette irruption sur l’écran d’une oeuvre immatérielle est le support d’une autre réflexion autour du même sujet. La pérennité. «Nous sommes passés en trente ans de 50 images vues par jour à plus de 500. Avec la prolifération du numérique se pose la question de la mémoire, du stockage, de la sauvegarde. » Placer l’outil sur un piédestal n’a selon lui aucun sens : « Entre les bugs et les disques durs cassés, la durée de vie d’un fichier numérique est en moyenne de... six mois ». Réalité augmentée, réalité effacée. Léo Caillard, comme Praxitèle, se bat contre le temps. Pour la beauté du geste. Past is present. Musée d’art classique de Mougins, jusqu’au 27 mai, tous les jours de10à18 h.Entrée:12€ (réduit:5et7€, gratuit -10 ans). Rens. 04.93.75.18.22.