Sept tableaux de maîtres sont subtilisés au musée municipal
Dans la nuit du 24 mars 1960, des cambrioleurs s’introduisent dans l’établissement culturel. Lors de la visite matinale du gardien, une grappe de grandes toiles manque à l’appel. Récit
Coup de théâtre au musée municipal de Menton. Le 24 mars 1960, à 5 h, le gardien de l’établissement, Alexandre Stroppiani, effectue sa traditionnelle ronde. Mais ce jeudi matin, une première observation le glace : une fenêtre est restée grande ouverte au rez-de-chaussée. Pas trop son genre de laisser les oeuvres – même les plus poussiéreuses – s’aérer… L’homme bondit au premier étage. Comprend aussitôt le drame qui s’est produit dans la nuit. En son absence, sept toiles ont été subtilisées. Et pas n’importe lesquelles : « Portrait de femme » de Modigliani, « Paysage » de Soutine, « Paysage » de Vlaminck, « Scène d’intérieur » de Picasso, « Paysage » d’Utrillo, « Vase de fleurs » de Foujita et « Femme en habit rouge avec chien » de Georges Bottini. Rien que des oeuvres de maîtres, issues de la collection de l’ancien conservateur du musée national des Beaux-Arts de Monaco, Charles Wakefield Mori. Toutes prêtées à la ville depuis 1957, alors que Menton organisait la IVe biennale de peinture. Le montant (administratif) du butin donne évidemment le tournis : 172 000 nouveaux francs au total. Bien que leur valeur sur le marché puisse – pense-ton alors – atteindre le triple. Une question taraude tous les policiers et enquêteurs dépêchés sur place : comment les malfaiteurs ont-ils pu s’introduire dans le musée ? La réponse ne tarde pas à tomber. Visiblement peu sujets au vertige, les voleurs ont escaladé la façade par les frises et sculptures, pour regagner une fenêtre située à quatre mètres du sol. Ils ont brisé celleci à hauteur de l’espagnolette, dans l’idée de pénétrer dans l’enceinte via la bibliothèque. Utilisant l’un des rayons chargés de livres comme échelle, les hommes n’eurent ensuite aucun mal à se glisser dans la pièce. Sur la centaine de toiles exposées, ils n’en sélectionnent que sept. Sectionnant les fils d’attache qui les maintenaient aux cimaises. Pourquoi avoir choisi ces oeuvres-là ? Pour leur valeur inestimable, évidemment. Mais aussi pour leur taille réduite. Car les malfrats ont pris le parti de conserver les cadres. Détail étonnant quand on sait qu’en règle générale, les spécialistes découpent les toiles et les roulent, afin d’être moins encombrés. De quoi laisser à penser que les cambrioleurs ont agi sur commande. Un expert ayant probablement effectué un repérage en amont, dérobant du regard les plus beaux (et chers) tableaux. Il apparaît également que la tâche de ces voleurs, fort renseignés, fut facilitée par l’emplacement du musée. Proche de la voie de chemin de fer. Des travaux de changement de rail étaient effectivement en cours, de jour comme de nuit. Le bruit des éclats de verre aurait ainsi été savamment étouffé par le boucan des cheminots. Le gardien lui-même, qui vivait au sous-sol, n’ayant rien entendu. Les enquêteurs pensent dans un premier temps que les oeuvres ont passé la frontière. Mais à Monaco comme en Italie, ils font chou blanc. Aucun des trafiquants réputés interrogés ne sait leur dire où elles ont fini. De nombreuses années après le cambriolage – considéré à à l’époque comme l’un des plus importants vols de tableaux – aucune toile n’a été retrouvée. Et raisonnent encore à Menton les déclarations des enquêteurs au lendemain du drame : « Du travail bien fait. Du travail d’artiste ! » Parmi les sept, une toile de Modigliani. Le gang sévit de nouveau sur la Côte d’Azur une semaine plus tard. Cette fois-ci, c’est sur la célèbre auberge « La Colombe d’or », à Saint-Paul-deVence, qu’ils jettent leur dévolu. Vingt toiles de maîtres, estimées à plus de 200 millions d’anciens francs, disparaissent alors des murs de la grande salle à manger. Des oeuvres de Bonnard, Modigliani, Buffet, Léger et Dufy comptent parmi les victimes. La veuve du collectionneur (et ami des artistes) Paul Roux découvre le Le vol était survenu dans L’affaire est confiée aux enquêteurs de Nice et de Gênes. Le fruit de leur travail commun révèle progressivement que la bande est constituée de quatre Italiens et un Français. Le nom de ce dernier ? Charles Dadune. Mais dans le milieu où il rôde, on l’appelle plus volontiers « Lolo l’accordéoniste ». Le lien n’est pas évident, à ceci près que le cambrioleur chevronné ne manque clairement pas d’air. C’est la brigade niçoise chargée méfait à six heures du matin. Par malchance, son fils Francis n’avait pas conservé les précieuses oeuvres d’art dans sa chambre cette nuit-là, comme il le faisait pourtant depuis le cambriolage mentonnais. Par malchance, toujours, les chaises que madame installait pour bloquer les volets ne suffirent pas à arrêter les voleurs. De même que le chien Kimir n’aboya pas. Seul motif de soulagement, le gang ne visita pas le bar. Où sommeillaient d’autres oeuvres rares. l’actuel musée de des interpellations qui l’arrêtera un soir, à 22 h, alors qu’il errait du côté du quai Rauba-Capeu. Quand il présente ses papiers, les agents font rapidement le lien : le promeneur solitaire est – en l’occurrence – recherché pour bien plus qu’un vol de chapeau. Giovanni Pilisi est quant à lui arrêté à La Trinité en août 1961. Après avoir commis l’imprudence de retourner voir sa femme sur le territoire français. Où les autorités l’attendaient. La flèche indique par où les cambrioleurs se sont introduits dans le bâti.