La semaine de Roselyne Bachelot
Lundi
Les Français ont été bouleversés par l’odieux attentat terroriste de l’Aude qui fit quatre morts et plusieurs blessés. Nous sommes partagés entre l’émotion causée par ce carnage, l’admiration devant le courage d’Arnaud Beltrame, mais aussi la rage contre ces terroristes endoctrinés par une idéologie mortifère. Il eut sans doute été convenable que les représentants des différents partis de droite ne se précipitent pas sur les micros pour proférer des attaques définitives et personnelles. Toutefois leurs propositions, une fois nettoyées de la gangue de la polémique politicienne méritent d’être évaluées. Quant aux beaux esprits qui défendent, résignés, l’État de droit, ils ont sans doute raison sur le plan des principes mais sont totalement inaudibles en la circonstance. Les résistants ne se demandaient pas quand ils faisaient le coup de feu contre les soldats allemands si ceux-ci avaient bénéficié d’un procès équitable. Nous voulons entendre le discours de Georges Clémenceau le mars devant l’Assemblée nationale quand il répondait aux défaitistes : politique étrangère, je fais la guerre, politique intérieure, je fais la guerre, je fais toujours la guerre. Mais c’est à l’aune de l’efficacité et de la faisabilité qu’il nous faudra juger des propositions des uns et des autres.
Mercredi
Le ciel fut à l’unisson de nos larmes dans la cour des Invalides devant la dépouille d’Arnaud Beltrame. Le Président de la République prononça un discours admirable et même ses adversaires les plus farouches furent obligés de le reconnaître. La forme, tant par la qualité du verbe que par la construction grammaticale, réconciliait avec une parole politique cacographe si souvent truffée de barbarismes et de solécismes. Mais c’est sur le fond que cette allocution méritera de rester dans notre mémoire collective. Le parcours du héros fut décrit à la fois par son comportement et par les valeurs qu’il portait. Ce parcours fut relié à notre histoire commune dans une chanson de geste qui nous allait au coeur. Les ennemis de la France et de la République furent – enfin – clairement nommés. Puis Emmanuel Macron après avoir élevé le colonel Beltrame au grade de commandeur de la Légion d’honneur posa ses mains sur le cercueil comme dans une accolade fraternelle et cette image fit le tour du monde. Je ne pus m’empêcher de penser alors à la magnifique invocation à la France du général de Gaulle : Ah, mère, tels que nous sommes, nous voici, pour vous servir. Chacun à notre place, oui, notre devoir est de servir la France, Emmanuel Macron nous l’a rappelé, mais surtout, Arnaud Beltrame nous en a donné l’exemple.
Jeudi
Il était inévitable que la présence de Marine Le Pen et de Jean-Luc Mélenchon soit vécue comme une provocation
par nombre de participants à la marche blanche qui s’est déroulée la veille en hommage à Mireille Knoll, cette octogénaire victime d’un meurtre à la fois crapuleux et antisémite. Le président du Conseil représentatif des institutions juives avait préféré leur lancer une véritable interdiction de participer à la manifestation plutôt qu’une simple mise en garde à leur endroit en les prévenant des risques de débordements. Ceux-ci ont gâché à la fois l’hommage à la victime et l’expression de la condamnation de l’antisémitisme. Dans ces circonstances, il vaut mieux ignorer ceux et celles qui se livrent à une tentative de récupération peu ragoûtante plutôt que de les stigmatiser en en faisant des victimes. C’était d’ailleurs ce qu’ils cherchaient, justifiant et renforçant par avance l’antisémitisme de certains de leurs affidés. Mireille Knoll méritait mieux que ces pitoyables échauffourées.
Vendredi
Stéphane Gatignon, le maire de Sevran, démissionne, stigmatisant le désengagement de l’État. Si l’on peut comprendre l’épuisement de maires devant les difficultés sociales qui minent leur commune, beaucoup sont invités à faire leur examen de conscience. Par clientélisme, lâcheté ou naïveté, certains ont fait de leur ville de véritables laboratoires du communautarisme. Subventions aux associations cultuelles, embauche préférentielle des « grands frères » dans les équipements socioculturels, recrutement d’extrémistes religieux dans les personnels techniques des écoles où ils exercent
Samedi
une véritable surveillance de l’observance religieuse, aveuglement devant la montée des attitudes d’exclusion des femmes hors de l’espace public, tous ces comportements ont fait le terreau du terrorisme aveugle sur des territoires où pourtant l’argent de l’État s’est déversé de manière continue. Qui sème le vent récolte la tempête.
Toute cette semaine fut marquée par le chagrin et par les polémiques. Nous voudrions ne retenir que les moments d’émotion partagée mais il nous faut bien réfléchir sans haine et sans crainte aux moyens du « plus jamais ça ». Les propositions émanant de l’opposition de droite, Front national, Les Républicains, Debout la France ainsi que de certains membres de la majorité tels Manuel Valls sont semblables : interdiction du salafisme, retour à l’État d’urgence, expulsion des étrangers fichés S, internement des fichés S pour radicalisation islamique. Une étude menée par Odoxa-Dentsu-Consulting démontre l’adhésion massive des Français à ces propositions. Pour autant, et ce n’est pas le moindre des paradoxes de cette enquête, les mêmes qui approuvent la démarche ne font pas confiance à ses promoteurs pour l’appliquer ! Les Français ont de la mémoire… mais il est bien compréhensible qu’à ce stade, les réactions émotives l’emportent. Le temps de la réflexion viendra. Interdire le salafisme ? Ou plutôt, l’expression de l’idéologie salafiste quand elle promeut le terrorisme, la discrimination, la haine de la République ? Je suis d’accord mais… nous avons tout
l’arsenal juridique dans notre droit pour combattre les appels à l’assassinat ou à la trahison des valeurs de la République. Avant d’établir de nouvelles lois, commençons par mettre en oeuvre les textes existants. Ce sont aux juges et à l’administration de ne pas avoir la main qui tremble. Rétablir l’état d’urgence ? Ce n’est pas nécessaire puisque la loi de juillet l’a établi dans le droit commun et que nous vivons maintenant en état d’urgence permanent dont certaines dispositions ont même été durcies. Expulser les étrangers fichés S ? Sur quels attendus s’ils n’ont commis ni crime ni délit ? Outre l’imbroglio juridique qui nourrira les cabinets d’avocats, on peut imaginer l’effet délétère sur les proches restés en France dont on fera des militants terroristes convaincus, sauf à expulser manu militari conjoints, enfants, parents, amis du suspect ! La plus contestable et la plus inapplicable des propositions est bien celle de l’internement des fichés S. Les services estiment entre et les fichés pour radicalité islamique classés « en haut du spectre » d’une possible dangerosité. L’idée « d’inoculer » plusieurs milliers de djihadistes dangereux dans le système carcéral est évidemment stupide. Il faudrait construire une cinquantaine de Guantanamo français répartis sur le territoire, recruter et former les personnels dédiés, enfin y enfermer sur simple lettre de cachet les suspects. Cet internement serait définitif puisque l’on sait maintenant que toutes les techniques de déradicalisation échouent et que l’engagement éventuel des supposés terroristes – sans compter celui de leurs proches – ne fera que croître et embellir devant un tel déni de justice. Le combat contre le terrorisme est suffisamment compliqué pour ne pas y ajouter des mesures non seulement inefficaces mais contre-productives.
« Par clientélisme, lâcheté ou naïveté, certains maires ont fait de leur ville de véritables laboratoires du communautarisme. »