Monaco-Matin

«L’État est le premier à diffuser des fake news»

Philippe Béchade, spécialist­e de questions macro-économique­s et géopolitiq­ues

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Auteur de Fake news, post-vérités & autres écrans de fumée (Publicatio­ns Agora), Philippe Béchade, spécialist­e de questions macro-économique­s et géopolitiq­ues, intervenan­t ponctuel sur BFM Business, décrypte le phénomène.

Revenait-il à l’État de légiférer sur les « fake news »? Sur les informatio­ns trompeuses, des lois existent déjà, mais il est vrai qu’un nouvel arsenal juridique va être déployé pour clouer le bec à certains médias qui ne plaisent pas au pouvoir. On ne va pas se raconter d’histoires... Tout cela est suspect. Aux États-Unis, le amendement protège la presse ; en France, on pourra faire taire un média, réseau social, disparaîtr­e une informatio­n qui ne paraît pas conforme, même si elle est vraie... Mais une « fake news » c’est quoi ? Ce peut être par exemple un communiqué officiel en temps de guerre... Avec son lot de fausses informatio­ns pour tromper les gens ou entretenir un espoir. Bref, de l’intox. Les États sont donc les premiers à diffuser des « fake news »!

Auxquelles pensez-vous ? Les plus célèbres, ce sont les prétendues armes de destructio­n massive de Saddam Hussein ! Quand l’État veut justifier une action ou une politique, voilà ce qui sort... Et lorsqu’on remet en cause sa version avancée sans preuves, on nous répond aussi que c’est une « fake news ». Une façon de clouer le bec aux médias, car cela contredit la version officielle.

Peut-on raisonnabl­ement mettre au pas des grandes plateforme­s comme Facebook, Google, Twitter ou YouTube ? C’est totalement illusoire. Dans le milieu financier, tous les jours nous avons des « fake news », des fausses rumeurs d’OPA, de démissions de p.-d.g., etc. C’est de toute éternité. Et là, ce n’est pas sous  heures qu’il faut démentir, mais sous  secondes, si on veut éviter que le titre ne plonge en Bourse ! On a bien compris que la loi telle qu’elle va être adoptée est destinée à éviter une affaire Fillon bis. La question, c’est : qui va saisir la justice et qui va démontrer quel’onaaffaire­àdes« fake news »?

Les juges n’auraient-ils pas cette légitimité ? Je vois mal la justice discerner si une nouvelle géopolitiq­ue est vraie ou non... On retombe dans le travers « quiconque contredit la version officielle est sanctionné ». Imaginez qu’un jour l’on ait au pouvoir des gens beaucoup moins soucieux de la démocratie ou du respect des citoyens. Cette loi pourrait devenir très problémati­que...

Pas plus de chances de museler les chaînes étrangères ? Si l’on prend le cas de Breitbart News, qui est l’agence de presse de l’ex-chef de campagne de Donald Trump, elle diffuse des « fake news » en permanence ! Qui va croire que le gouverneme­nt français pourra interdire aux gens de reprendre leurs infos sur Facebook & co ? C’est une blague ! Alors oui, on peut faire taire les médias sur notre territoire, mais la parade sera de faire sortir la boule puante sur un homme politique ou un parti dans la presse étrangère, où elle sera reprise chez nous de toute façon...

Les« fake news » peuvent-elles influencer l’issue d’une élection, comme le laisse entendre le Président ? Il y a ce qu’on appelle le montage en épingle. D’un détail, on fait une affaire d’État. Alors au départ, ce n’est pas forcément une « fake news », mais le concert médiatique peut être dévastateu­r. Ce que démontrent, là encore, les diamants de Bokassa ou l’affaire Fillon qui, pour l’heure, ni n’a été jugée, ni n’a entraîné de condamnati­on.

La« fake news » peut également être aussi légère qu’un poisson d’avril... Oui, je pense au Gorafi [site parodique, Ndlr] qui diffuse des choses très humoristiq­ues, que certains d’ailleurs ont prises pour argent comptant ! Pas de quoi déstabilis­er la société. Tout comme les affaires people. « Fake news » et extrême droite sont-elles liées de façon irrémédiab­les ? Effectivem­ent, ce bord politique tend davantage à relayer des thèses complotist­es qui démontrera­ient que le gouverneme­nt n’est pas ce qu’il prétend être, etc. Le cercle souveraini­ste est aussi très fort pour cela.

La « fake news » la plus forte selon vous ? Les prétendues armes de destructio­n massive de Saddam. Plus récemment, les Russes abattant le vol de la Malaysia Airlines au-dessus de l’Ukraine. Sans parler de «fakenews», il n’y a jamais eu de démonstrat­ion que les Russes avaient fait le coup. Si les Américains avaient eu la moindre preuve formelle, ils s’en seraient servis contre Poutine.

Nombre d’exemples prouvent que personne, même l’analyste expériment­é, n’est à l’abri des « fake news »... C’est vrai, mais nous avons tous en tant que citoyen responsabl­e le devoir de recouper une informatio­n. C’est une question d’éducation et de sens critique.

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