Monaco-Matin

Un concert de...  heures pour le quatuor Bela

Cette oeuvre, d’une durée de... cinq heures, a été donnée vendredi en présence du prince Albert II et de la princesse Caroline au Musée océanograp­hique. Récit de cette étonnante soirée

- ANDRÉ PEYREGNE

Quand je suis arrivé, vendredi soir, au Musée océanograp­hique de Monaco, pour le Printemps des arts, on m’a invité à me déchausser et enfiler des chaussons. « C’est pour ne pas faire de bruit au cas où vous vous déplacerie­z pendant le concert », m’a-t-on expliqué. « Mais généraleme­nt, je ne me déplace pas pendant les concerts ! », aije rétorqué. « Attention, celui-ci va durer… cinq heures ! » Au programme figurait en effet le quatuor le plus long du monde, dû au compositeu­r américain Morton Feldman. Je déposai donc mes chaussures comme à l’entrée d’une mosquée. Direction la belle salle du Musée océanograp­hique, dont le décor somptueux et les fauteuils en cuir rappellent les grands paquebots d’autrefois.

Un concert dans une chaise… longue !

Là, surprise, les fauteuils en cuir ont disparu ! Ils ont été remplacés par des… chaises longues. C’est la première fois que j’assisterai à un concert dans une chaise longue. Tout le monde se lève lorsque le prince Albert II et la princesse Caroline font leur entrée. Leur présence souligne l’importance de l’événement. Le noir se fait dans la salle. Arrivée des quatre musiciens marathonie­ns du Quatuor Bela. La musique commence : une succession ininterrom­pue de petites notes ou de brèves formules musicales inlassable­ment répétées, sans cesse rejouées dans la nuance pianissimo. Aucune mélodie mais une litanie de notes obsédantes. Peu à peu, on s’installe dans une ambiance intemporel­le. Les premiers abandons du public intervienn­ent au bout d’une heure.

Des ombres discrètes se dirigent vers la sortie. Le prince Albert II, lui, est toujours là. Nous sommes prêts à parier qu’aucun chef d’état au monde n’a jamais écouté dans sa vie plus d’une heure ininterrom­pue de musique répétitive ! Ceci constitue un record. Avec des sortes de gestes mécaniques, les musiciens poursuiven­t leur avancée imperturba­ble dans la musique et dans le temps. Deux heures passent. Les centaines de pages de

leurs partitions sont tournées automatiqu­ement par des bras aimantés qui agissent sur des trombones métallique­s placés au haut des pages. Les musiciens poussent et tirent leurs archets de manière métronomiq­ue sur leurs violons, alto et violoncell­e. Ils n’ont pas l’air d’être fatigués.

La princesse Caroline est restée jusqu’au bout

Trois heures passent. L’auditoire s’assoupit mais, mais visiblemen­t

personne ne dort. Pour tenir les musiciens en éveil, le compositeu­r a truffé la partition de pièges. Les rythmes sont marqués de manière complexe, les notes aussi. Exemple, au lieu d’un do, figure un si dièse ou ré double bémol… qui donne le même son mais nécessite une vigilance accrue de la part des musiciens. Ils jouent, à présent, depuis près de cinq heures. Il reste encore une cinquantai­ne de personnes dans la salle, dont la princesse Caroline.

Soudain, la musique ralentit. Elle va s’épuiser, elle va mourir. Elle s’arrête. C’est la fin. Il se passe alors quelque chose d’inattendu. Le public, pas endormi du tout, surgit comme un seul homme des chaises longues. Standing ovation pour les héroïques musiciens ! Ils ont accompli un exploit. Nous aussi. Ils sont heureux. Nous aussi. On n’ose pas leur demander un bis !…

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 ??  ?? A gauche, les quatre musiciens marathonie­ns du quatuor Bela à leur arrivée. A droite: Le prince Albert II et la princesse Caroline ont été installées sur un canapé aux côtés de Marc Monnet, le directeur du Printemps des arts. Tout au long du concert,...
A gauche, les quatre musiciens marathonie­ns du quatuor Bela à leur arrivée. A droite: Le prince Albert II et la princesse Caroline ont été installées sur un canapé aux côtés de Marc Monnet, le directeur du Printemps des arts. Tout au long du concert,...
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