Nice: coup de force des avocats contre la réforme
Après avoir voté la grève totale et illimitée, des avocats du barreau de Nice refusent de plaider. Au point de quitter un procès en cours après avoir vainement tenté d’obtenir son renvoi
Les avocats niçois haussent le ton… tout en refusant de plaider. C’est tout le paradoxe de cette grève, votée mardi soir. Pour protester contre le projet de réforme de la justice du gouvernement, les robes noires souhaitaient une action spectaculaire, hautement symbolique. Cela a commencé dès le matin dans les cabinets des juges d’instruction où les pénalistes ont demandé et obtenu le report des actes prévus. Idem lors de l’audience de rétention des étrangers qui s’est déroulée sans avocat. En comparution immédiate, l’ensemble des affaires a été renvoyé à des dates ultérieures. Seule la détention provisoire des mis en examen fait l’objet d’un débat contradictoire. Restait l’audience spéciale où neuf ressortissants hongrois sont jugés depuis mardi pour proxénétisme aggravé. Sept avocats niçois ont fini par quitter le procès qui s’achèvera aujourd’hui sans eux. L’épilogue d’une après-midi de palabres et de controverses.
« Démantèlement du service public »
14h30. Le procès des proxénètes doit reprendre mais une soixantaine d’avocats se présentent avec à leur tête, le bâtonnier Valentin Cesari, le vice-bâtonnier Martine Videau-Gilli et Me Xavier Fruton (Union des jeunes avocats). Des magistrats de l’Union syndicale des magistrats (USM) et du Syndicat de la magistrature (SM) sont venus exprimer leur solidarité. Certains, avec des avocats, ont distribué des tracts à la gare de Nice pour expliquer leur défiance vis-à-vis de la réforme. Les avocats demandent à la présidente Catherine Bonici, de suspendre les débats sine die. Le parquet, par la voix d’Alain Octuvon-Basile, à l’instar d’un avocat parisien de la défense, s’y oppose.
Un problème de date
« Le Conseil de l’Ordre a voté hier une grève illimitée contre un projet de loi qui signifie le démantèlement du service public », explique le bâtonnier. Le projet du gouvernement, à la fois flou et touffu, cherche à faire des économies en supprimant les tribunaux d’instance, en développant les plaintes en ligne, en dématérialisant le règlement des petits litiges, en asséchant les voix de recours… Les grévistes redoutent des déserts judiciaires, une justice au rabais encore plus éloignée du justiciable. « Même si je comprends mes confrères niçois, c’est une grève imposée, anti déontologique », s’insurge le seul avocat parisien sous les huées. «C’est une question de solidarité. Si le projet passe, dans cinq ans plus personne ne plaidera et des algorithmes rendront la justice », lui rétorque un jeune avocat niçois. Finalement, vers 17 heures, la présidente décide de rejeter la demande des avocats en colère « pour un problème de calendrier. ».« Le tribunal entend les revendications du barreau de Nice sur une réforme qui nous concerne tous, précise la présidente. Pour autant le tribunal rappelle que ce procès exceptionnel, audiencé sur une semaine, entamé le 3 avril au matin, deux jours avant l’annonce du mouvement de grève voté par le barreau de Nice, doit se poursuivre.» L’affaire, déjà renvoyée deux fois, concerne des prévenus dont certains sont depuis deux ans en détention provisoire. La procédure impose qu’ils soient jugés avant le 9 mai prochain. Et les proxénètes présumés, à qui la présidente donne la parole, souhaitent être jugés, quitte à se passer de leurs avocats. Finalement, huit avocats de la défense, la mort dans l’âme, décident de quitter le prétoire. Un coup de force qui montre à quel point le projet de réforme inquiète la profession. « Cela préfigure ce que sera la justice de demain, plaide Me Cesari. Une justice sans avocat et peut-être même sans juge. »