L’humeur française
Comme toujours, le conflit social se nourrit d’irrationnel. Dogme contre dogme, chacun accommode la vérité à sa sauce. Qu’importe si la réalité doit s’en trouver biaisée. Prenez l’ouverture à la concurrence ferroviaire. Elle a produit des résultats très contrastés qui devraient inciter à la plus élémentaire prudence : bénéfique en Italie, elle s’est révélée plutôt neutre en Allemagne et a fait grimper les tarifs en flèche en Grande-Bretagne. Bref, bien infatués ceux qui osent prédire, certitudes à la boutonnière, son incidence dans l’Hexagone. Seule évidence, les trains, quels que soient demain les opérateurs, ne circuleront pas mieux tant que nos infrastructures n’auront pas été modernisées. Trente-six milliards en dix ans sont prévus à cet effet. Si la réforme ferroviaire du gouvernement ne résoudra pas tout, elle ne comporte, en tout cas, aucun boutefeu de nature à justifier une insurrection.
Un major Thompson égaré dans la France de ne manquerait pas d’y perdre une nouvelle fois son flegme. Le so british et acerbe héros de Pierre Daninos se gausserait d’y voir des cheminots revendiquer un statut que le gouvernement ne compte pas leur enlever, s’inquiéter d’une ouverture à la concurrence que la SNCF a déjà anticipée, et se poser en défenseurs de petites lignes qu’il n’est plus question de supprimer. Nul ne peut même parler de mépris des territoires quand plusieurs Régions, dont Paca, aspirent à lancer dès fin des appels d’offres qui leur
permettront, pensent-elles, de renforcer leurs exigences au bénéfice des usagers. La colère qui a gagné les facs n’est pas plus rationnelle. L’aiguillage un peu forcé y vaudra toujours mieux que le tirage au sort, sauf à offrir les licences dans les paquets de lessive. On peut affubler cela du vilain mot de sélection. Elle n’en va pas moins dans l’intérêt de tous ceux – plus d’un étudiant sur deux – qui se perdent en route et quittent la fac sans diplôme, quand d’autres, au bagage intellectuel ou… financier supérieur, gravissent quatre à quatre les marches de la réussite dans les grandes écoles ou celles,
pompes-à-fric, qui perpétuent les inégalités sociales. William Marmaduke Thompson jugerait que nous sommes loin d’être aussi cartésiens que nous le pensons. Et il aurait raison. Bien davantage que de critères objectifs, la grève à la française s’abreuve d’un romantisme des barricades et d’un amour-haine pour ce service public que nous aimons tant détester, tout en l’ayant chevillé au coeur. C’est cette fibre chauvine, qu’il avait déjà bousculée à Bercy en cédant sans états d’âme les parts de l’Etat dans plusieurs sociétés de gestion aéroportuaires, qu’Emmanuel Macron n’a pas intégrée. Le bien-fondé de ses réformes ne fait pas tout, dès lors que l’humeur française met encore un frein à son libéralisme assumé.
«Un amour-haine pour ce service public que nous aimons détester.»