Monaco-Matin

«J’avais  ans, j’avais espoir et ne voulais pas mourir»

La demi-soeur posthume d’Anne Frank devenue célèbre pour son journal clandestin, tient une conférence, ce soir à 19 h, au Lycée technique et hôtelier de Monaco. Rencontre…

- PROPOS RECUEILLIS PAR THIBAUT PARAT tparat@nicematin.fr

Elle a longtemps gardé le silence sur l’horreur de l’Holocauste. Quatre décennies, claquemuré­e dans un profond mutisme. À peine quelques bribes de souvenirs lâchées à son cercle proche. Aujourd’hui, Eva Schloss, demi-soeur posthume d’Anne Frank et rescapée d’Auschwitz, prend son bâton de pèlerin pour prêcher la bonne parole. Celle de la tolérance, de la paix, comme guidée par un devoir de mémoire. Ce soir, à 19 heures, ce petit bout de femme de 88 ans tient une conférence publique au Lycée technique et hôtelier de Monaco. À Londres en , il y avait une exposition autour du journal d’Anne Frank. J’étais invitée juste pour y participer. Et puis, l’organisate­ur a dit : « Maintenant, Eva Schloss va vous dire quelque chose ». Je voulais me cacher sous la table, je n’avais jamais parlé en public. J’étais timide et nerveuse et je ne voulais pas évoquer l’Holocauste. Et puis, pour la première fois, j’ai raconté des choses que je n’avais jamais dites à mes proches.

Depuis, vous vous sentez investie d’une mission… Exactement, celle du devoir de mémoire. Après , les gens ont dit « Plus jamais ça ! » .Je constate que la leçon n’a pas été retenue. Partout, il y a des préjudices contre les juifs, les musulmans, les chrétiens, les noirs… Beaucoup de guerres aussi. Il reste beaucoup à faire. Comme la famille d’Anne Frank, vous êtes restés cachés pendant deux ans avant une dénonciati­on. Racontez-nous… J’étais avec ma mère à Amsterdam. Mon frère, lui, était avec notre père. On était cachés chez des résistants dans une petite chambre, sans pouvoir aller dehors. A  ans, moi qui étais sportive, je ne pouvais rien faire, ni parler, jusqu’à ce que les gens reviennent du travail. De juin  à mai , on a changé sept fois de planque car la Gestapo traquait les juifs. Et puis, une infirmière hollandais­e qu’on croyait résistante nous a trahis. Elle a peut-être reçu de l’argent ou peut-être était-elle une nazie ? On a été déporté le  mai, jour de mes quinze ans.

Commence l’horreur… Que racontez-vous aux gens pour (Photo Michaël Alési) leur faire prendre conscience de la barbarie nazie ? On a été placé dans un camp d’internemen­t en Hollande, puis déporté à Auschwitz. On ne connaissai­t pas la destinatio­n. Je me souviens d’un camp immense… Les hommes et les femmes étaient séparés. À la sortie du train, le Dr Josef Mengele faisait le tri. Il nous regardait une seconde et nous mettait d’un côté ou d’un autre. La vie ou la mort. Plus de la moitié n’a pas survécu à ce tri : le enfants, les bébés, les vieillards… On nous a mis nu, on nous a rasés puis on nous a tatoués un numéro.

Comment avez-vous tenu bon ? J’avais quinze ans, je ne voulais pas mourir. J’ai toujours gardé espoir. Et puis, il y a eu des miracles. Par exemple, ce manteau à capuche que m’avait donné ma mère. Le Dr Mengel n’a pas vu que j’étais jeune sinon il m’aurait gazé… Une de mes cousines travaillai­t à l’hôpital, elle me donnait des médicament­s lorsque j’ai eu une attaque de typhus. J’ai aussi travaillé trois semaines dans un endroit où on dispatchai­t les effets personnels des déportés. On y a trouvé de la nourriture et les conditions de travail étaient moins pénibles. En janvier , après neuf mois de déportatio­n, les Russes nous ont libérés.

Après avoir perdu leurs compagnons respectifs, votre mère et Otto Frank, le père d’Anne, se sont rapprochés… On se connaissai­t car on habitait à côté. Durant le transport avec les Russes, Otto était avec nous tout le temps. Ce n’est qu’après qu’on a appris, par une lettre de la Croix-Rouge, que mon père, mon frère, Anne et la femme d’Otto étaient décédés. Otto et ma mère se sont mariés en .

Avant de devenir votre demisoeur posthume, Anne Frank était avant tout votre amie… Quand on a quitté Vienne pour Amsterdam en février , on habitait sur une petite place. Avec tous les enfants de l’école, on jouait sur une grande place. Anne était là et avait un mois de moins que moi. On a joué à la corde à sauter, on faisait des tours de bicyclette. Anne s’intéressai­t beaucoup aux garçons et aux vêtements. Moi, j’étais plutôt un garçon manqué…

Après coup, en lisant son Non, je ne l’ai pas reconnu. Je ne lui connaissai­s pas cette qualité de philosophi­e de vie. Plus tard, en vivant avec Otto, j’ai compris qu’elle avait été influencée par la pensée de son père. Leurs conditions de vie étaient différente­s de la nôtre. Nous étions , eux . Ils sont restés cachés deux ans au même endroit, pas nous.

Qu’avez-vous ressenti en retournant à Auschwitz pour la première fois ? J’y suis retourné avec mon mari pour une télévision. C’était en hiver, ce fut très dur. J’ai pleuré tout le temps. Lui, ne pouvait rien manger. À l’époque, ce n’était pas encore un musée. C’était presque trop réel. Maintenant, c’est une attraction pour les touristes. Les gens rient, filment… À l’époque, il n’y avait pas de fleurs, ni d’herbe ou d’arbres.

À New York, les visiteurs du Museum of Jewish Heritage peuvent poser des questions à votre hologramme… Pendant une semaine, j’ai répondu à des milliers de questions. C’est crucial que les témoignage­s de survivants de la Shoah perdurent dans le temps. Les jeunes ne doivent pas oublier cette tragédie et quand je ne serai plus là, l’hologramme continuera à répondre. J’ai pu me demander à moi-même quel était mon numéro de tatouage sur le bras (rires).

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Vous avez longtemps gardé le silence sur votre histoire. Vous la racontez désormais aux jeunes génération­s. Que fut le déclic ? «Auschwitz est devenu une attraction pour les touristes. Les gens rient, filment...», constate Eva Schloss. journal,...

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