Le chaudron de sorcières
« [En Syrie] la France n’est qu’un acteur de second rang, qui n’a ni le poids géopolitique ni les moyens militaires d’imposer ses vues. Si estimables soient-elles. »
En Syrie, nous allons continuer à : . Lutter contre les groupes terroristes ; . Tout faire pour obtenir un cessez-le-feu ; . Apporter de l’aide aux populations civiles ; . Démanteler l’arsenal des armes chimiques ; . Préparer la paix de demain. Ainsi Emmanuel Macron vient-il de clarifier les buts de la France dans le terrible embrouillamini syrien. Cinq buts infiniment louables. Nul n’en disconviendra. Mais qui n’aident pas à trancher la question qui fait aujourd’hui débat : comment riposter à l’attaque chimique que le régime d’Al-Assad est accusé d’avoir perpétrée à Douma ? Car aucun de ces objectifs ne sera atteint par le simple effet d’une opération militaire. Après un précédent gazage, en , les Etats-Unis expédièrent missiles Tomahawk en guise de représailles et d’avertissement ; on peut juger, aujourd’hui ,de leur efficacité. Frapper ou pas ? Frapper comment, quand, où, avec quelle intensité ? « Le contexte implique à la fois de ne pas pousser à une escalade militaire avec la Russie mais aussi d’avoir une réaction suffisamment forte pour ne pas paraître céder à l’intimidation », note l’ancien ambassadeur Michel Duclos. Voillà l’équation posée. Mais cela ne fournit pas la solution. Chez nous, il y a les contre, comme Mélenchon et Marine Le Pen, qui alertent contre le danger d’engrenage. Il y a les pour, Hamon, et plus encore Hollande, qui n’a toujours pas digéré d’avoir été lâché par Obama, un fameux jour d’août , alors que les avions français étaient déjà parés au décollage : pour eux, on ne peut pas ne pas agir, le crime ne doit pas rester impuni. Il y a les prudents, comme Christian Jacob, qui exhorte l’exécutif au « sang froid », face à un « vrai risque d’embrasement mondial ». Et puis il y a Macron, dont la détermination à frapper « en temps voulu » ne peut dissimuler une évidente – et compréhensible – perplexité sur les modalités, dans un contexte rendu plus incertain encore par les tartarinades et les palinodies de Donald Trump. En un sens, celles-ci ne sont d’ailleurs pas sans rappeler la volte-face d’Obama après le massacre de la Ghouta, patente violation de la « ligne rouge » qu’il avait lui-même tracée. Nul ne saura jamais ce qui se serait passé si… Mais le parallèle s’arrête là. En , la guerre civile syrienne déployait un vaste champ de possibles. Aujourd’hui, elle paraît toucher à sa fin. Bachar al-Assad semblait vulnérable. Il est redevenu incontournable. Surtout, la présence russe s’est considérablement accrue. Et le conflit, internationalisé : après sept ans de guerre, de barbarie (dans tous les camps) et d’ingérences étrangères, la Syrie est devenue quelque chose comme les Balkans d’antan. Un chaudron de sorcières. Le lieu où se concentrent et s’imbriquent une demi-douzaine d’affrontements : entre le régime et les rebellions, entre la coalition internationale et ce qui reste de l’Etat islamique, entre chiites et sunnites, entre Kurdes et Turcs, entre Iran et Israël, entre l’Amérique et la Russie. Sans parler des métastases du terrorisme qui trouvent ici leur foyer. Alors frapper ? Peut-être. Au nom du rang et du rôle de la France ? Cela peut s’entendre. Mais en gardant ceci à l’esprit : dut notre amour propre en souffrir, la France n’est ici qu’un acteur de second rang, qui n’a ni le poids géopolitique ni les moyens militaires d’imposer ses vues. Si estimables soient-elles.