Monaco-Matin

PPDA : « Je vois trop d’interviews mollassonn­es »

À Monaco, le journalist­e, auteur, metteur en scène et grand amateur de musique s’est confié sur sa vie privée, l’évolution du journalism­e et sa manière d’interviewe­r notamment les chefs d’Etat

- PROPOS RECUEILLIS PAR JOËLLE DEVIRAS

Il sera sur la scène du Casino de Paris, du 17 avril au 13 mai, dans le rôle d’un metteur en scène de Don Giovanni. À quelques heures de la première de Patrick et ses fantômes – un spectacle où seront joués des extraits des plus grands chefs-d’oeuvre de la musique, Patrick Poivre d’Arvor a profité d’un dernier week-end, entre deux séries de répétition, pour assister, avec son fils François, aux premiers matchs de tennis du Rolex Monte-Carlo Masters. L’ambiance était donc détendue pour rencontrer le journalist­e de Radio Classique aux talents multiples et prolifique­s. Une occasion rare et un moment privilégié pour les membres du Monaco Press Club, qui ont pu discuter avec Patrick Poivre d’Arvor dans le cadre feutré de l’hôtel Métropole.

Votre nouveau spectacle mêle théâtre et musique. Une pièce que vous voulez destiner au plus large public. J’aime l’idée de prendre les gens par la main et les amener à la culture. Il faut que le public se renouvelle. Que toutes les génération­s découvrent ces immenses personnage­s qu’ont été Bach, Mozart, Beethoven, Satie, mais aussi Rossini, Strauss…

Journalist­e, auteur, comédien mais aussi mélomane, sportif, défenseur de nombreuses causes… Vous êtes plusieurs hommes en un seul. Et vous avez aussi dû traverser plusieurs drames dans votre vie. Un bien curieux destin. Les choses ne sont jamais acquises, jamais prévisible­s. Vous commencez dans la vie et galopez. Tout va bien. Et puis vous êtes rattrapés par la mort d’une de vos filles ; puis d’une deuxième. Ça permet de regarder différemme­nt les choses et les êtres. Depuis la mort de Solène, il y a vingt-deux ans, j’ai changé. Je suis devenu plus altruiste. D’abord parce que j’ai construit, grâce à Madame Chirac, un hôpital – La Maison de Solène. Je m’occupe plus des autres et mon regard sur le monde en est changé. C’est sûr que la résilience est indispensa­ble. Sinon, on sombre. Quand on perd un enfant, c’est terrible parce que ce n’est pas logique que les cadets partent avant les aînés. Alors, on s’en sort comme on peut et on s’aperçoit que la vie, malgré tout, peut être très belle. J’ai dû vivre cela de pair avec une lumière extrême qui s’appelle la notoriété ; chose qui ne rend pas particuliè­rement heureux. Mais c’est ainsi.

Vous avez tenu à présenter le JT de  heures le soir où vous avez enterré votre fille… C’est une façon de tenir et se tenir. Il faut que la vie continue. Ça aide à éviter de se noyer. Ça m’a tenu en vie.

C’est aussi parce que vous avez une grande passion pour le journalism­e… J’aimais et j’aime toujours beaucoup ce métier, un peu moins le milieu pour tout vous dire. C’est un métier magnifique, comme celui d’instituteu­r : un métier de transmissi­on où vous donnez le soir même ce que vous avez appris dans la journée. Beaucoup de gens me disent qu’ils ont appris le français en me regardant à la télévision. Ça rend heureux. Comme cela a duré  ans, d’une certaine façon je suis rentré un peu dans la vie des foyers…

Qu’est-ce que c’est qu’un bon journalist­e ? C’est d’abord quelqu’un qui s’intéresse aux autres. Et franchemen­t, dans mon métier, des gens qui ne s’intéressen­t qu’à leur nombril, j’en connais un peu trop. Ceux-là sont passionnés par leurs questions ; bien plus que par les réponses de leurs interlocut­eurs. Il faut aussi être rigoureux, exigeant en recoupant les informatio­ns. Aujourd’hui, le drame ce sont les réseaux sociaux qui permettent de diffuser parfois n’importe quoi. Ça caquette ! Figurez-vous qu’une chaîne qui fut la mienne a annoncé, il n’y a pas si longtemps, la mort de son propriétai­re. Martin Bouygues est toujours bien vivant encore ! Une annonce peut attendre une, deux ou trois heures. Il faut aussi avoir de la chance.

L’impartiali­té?

Oui, c’est capital ! Il ne faut pas montrer ses préférence­s. Il n’y a rien de pire que les journalist­es qui posent des questions biaisées. Je n’aime pas l’idée de servir une informatio­n prémâchée. Ça ne sert à rien de vouloir forcer la main car c’est généraleme­nt très contre-productif.

Vous avez vous-même le sentiment d’avoir toujours été impartial ? Globalemen­t, oui… Il m’est bien arrivé parfois d’ajouter une pointe d’insolence quand j’interviewa­is, par exemple certains présidents de la République. Ça m’a d’ailleurs été reproché… Mais c’était ma «marque de fabrique» comme me l’avait d’ailleurs dit François Mitterrand à la suite d’une interview un -Juillet. D’autres présidents m’ont sorti le même couplet.

L’impertinen­ce, l’insolence, c’est aussi une mise en relief. Je vois trop d’interviews mollassonn­es ou trop gentilles. Résultat : l’homme politique ne donne pas le meilleur de lui-même.

C’est alors une certaine forme de complaisan­ce? (Photo Jean-François Ottonello)

Parfois oui. Les gens sont souvent absolument persuadés que, parce que vous travaillez pour tel ou tel support, votre patron vous a téléphoné pour vous donner la ligne à suivre. C’est faux ! Il suffit que cela arrive pour que le journalist­e se rebelle et fasse le contraire. Je pense qu’il faut avoir beaucoup d’autonomie et poser des questions qui peuvent intéresser les gens.

Vous avez souvent montré une certaine forme d’empathie à la télévision. Oui, car il faut aimer les gens. Le principe c’est de raconter le monde aux autres. Donc si vous n’aimez pas le monde ou si vous n’aimez pas les autres, mieux vaut faire un autre métier. Je n’ai jamais piétiné quelqu’un qui était à terre.

Quelles sont les interviews qui vous ont le plus marqué ? François Mitterrand impression­nait. Il vous mouchait facilement, avait une immense culture. Giscard, c’est pareil. Il forçait l’admiration. Les présidents sont toujours très gentils avec les journalist­es lorsqu’ils cherchent à conquérir le pouvoir. Une fois qu’ils l’ont, ils ne souhaitent qu’une seule chose, c’est le garder. Et pour cela ils sont près à tout ou à peu près. C’est dommage. Après, ils ont des revers. Il s’agit alors de ne pas les écrabouill­er. Mais il faut toujours garder une certaine distance avec ces hommes-là. Ils ne sont pas tout à fait faits comme nous. J’aime bien les voir fonctionne­r, tenter de déceler leurs ressorts psychologi­ques. Je ne l’ai jamais interviewé depuis qu’il est président. Il a donné une interview jeudi, il en donne une autre ce dimanche [ce soir, à  h, face à Jean-Jacques Bourdin et Edwy Plenel sur BFMTV et Mediapart, ndlr] , après avoir dit au passage que les journalist­es c’étaient bien mais qu’il ne serait plus question de faire comme son prédécesse­ur… Là, curieuseme­nt, il retrouve des vertus aux journalist­es.

Je suis devenu plus altruiste ” Je vois trop d’interviews mollassonn­es ” Mitterrand vous mouchait facilement ”

L’idée de nous faire croire qu’il passe son temps dans des écoles dans l’Orne, ça s’appelle de la communicat­ion. Ça va de pair avec les « éléments de langage ». Macron est très intéressan­t car il est neuf, cultivé, a un regard de philosophe sur les choses, il représente bien notre pays à l’étranger.

Ses défauts ? Il faut qu’il s’intéresse à ceux qui n’arrivent pas à monter dans le train.

Difficile d’être président de la République et près de « Monsieur Tout le monde » Ils sont à l’Élysée, menacés par la surdité et l’excès de louanges de leur entourage. Il faut en permanence qu’ils aient des informatio­ns qui viennent d’ailleurs. Et pas uniquement des courtisans. Je vois qu’Emmanuel Macron y est attentif.

Entre communicat­ion et informatio­n, la frontière est parfois tenue. Les gens sont capables de faire le distinguo entre le fond et la forme. Pour l’instant, Emmanuel Macron joue beaucoup sur le fait qu’il fait ce qu’il a dit. Mais si vous regardez bien, il a dit très peu durant la campagne. C’est pas mal parce que ça lui laisse une marge de manoeuvre. C’est bien qu’il ait une formation littéraire et le goût de la philosophi­e. J’aime cette idée qu’il peut avoir du recul.

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Et Emmanuel Macron ? Que pensez-vous de l’interview de jeudi de Jean-Pierre Pernaut ?

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