Coder à l’école, une façon d’apprendre autrement
Davantage d’expérimentation, promouvoir le travail d’équipe… À l’Inria, à l’université de Nice Sophia Antipolis ou dans les écoles, ils se servent du numérique pour faire évoluer l’enseignement
« Si les élèves maîtrisent le numérique ils seront des seigneurs ; si on leur dit juste de cliquer, ils seront des esclaves », estime Thierry Vieville, chercheur à l’Inria. (Photo Inria)
L’éducation de demain, dans un monde numérique, c’est d’initier les filles et les garçons à la pensée informatique. S’ils maîtrisent le numérique, ils seront des seigneurs; si on leur dit juste de cliquer, ils seront des esclaves. » En une phrase choc, Thierry Vieville, chercheur à l’Inria, résume l’enjeu. Nos enfants, de futurs esclaves? La perspective n’est pas réjouissante. Mais c’est justement pour écarter cette menace que le monde de la recherche et de l’enseignement s’est emparé de la question. «La France se met à apprendre le code à ses enfants. Au primaire et au collège. C’est dans les programmes depuis un an » ,se félicite le scientifique. Et pour nous prouver que cet apprentissage est un jeu d’enfant, il nous propose de jouer. De participer à une initiation à l’informatique… sans ordinateur, pour commencer. « Imaginez, vous avez 8 ans, vous êtes à l’école. Vous entrez en classe et la maîtresse ou le maître vous dit : “Bonjour les enfants, aujourd’hui, nous allons programmer un robot. Et le robot, c’est moi. Vous devez me faire sortir de la pièce. Comment faites-vous ?” » Il attend notre réponse, sourire en coin. On repère le chemin qu’il doit emprunter pour éviter les tables et le mur, puis on se lance: «Un pas devant, tourner à gauche, trois pas tout droit, tout droit, puis trois pas à droite. » Thierry Vieville démarre sa déambulation.
« Si on ne se trompe jamais, on n’apprend rien »
Très vite, ça se gâte. Nos consignes l’envoient… dans le mur ! «On s’est trompé, pose-t-il. Mais heureusement, sinon, on n’apprend rien. Et puis, on a joué l’un avec l’autre. Tous les jeux pour apprendre l’informatique sont coopératifs. Et ça implique, du coup, de nouvelles
façons d’apprendre, qui renouent avec des pédagogies par la recherche et l’erreur.» Thierry Vieville allume son ordinateur pour nous montrer un logiciel d’initiation ludique au code : «Scratch a été mis au point au Massachusetts Institute of Technology.» Un petit chat surgit : les enfants peuvent lui faire faire un tas de choses, tout en apprenant. «Au lieu de juste consommer du numérique, ils vont programmer. » Pas pour former des cohortes d’informaticiens, mais pour apprendre aux élèves « à résister aux informaticiens» : « Ce monde numérique, il faut le maîtriser. » Thierry Vieville voit aussi dans l’arrivée de l’informatique à l’école l’opportunité de faire évoluer l’éducation. « On va pouvoir mieux généraliser des moyens d’apprendre par le “faire” qu’on retrouve dans les pédagogies de type Montessori. »
Travailler en mode projet
Les professeurs font déjà de la pédagogie différenciée. Mais, avec les outils numériques maîtrisés par l’enfant, ce sera plus facile de la mettre en oeuvre. « L’enseignant va pouvoir dire au crack en maths : “Tiens, je te file cet exo un peu balèze”, et donner des choses plus simples à d’autres. Et récupérer du temps pour répondre aux questions. » Par ailleurs, le chercheur met en avant l’informatique comme un « carrefour » entre les disciplines: «On peut l’utiliser pour faire des maths, mais aussi de l’histoire: en parlant des algorithmes, on emmène les enfants en Perse, au IXe siècle, chez le grand mathématicien Al-Khwârizmî. » Il sélectionne, sur Scratch, le projet « Carte de voeu ». «Là, on va aussi travailler sur l’orthographe. On décloisonne les matières, et on ne demande pas aux écoliers d’appliquer des consignes, mais de réaliser un projet. »
Travailler en mode « projet » autour de l’informatique, c’est ce qu’expérimente, avec succès, Magali Gomes da Rosa. Cette professeure à l’école Jacques-Prévert d’Antibes initie ses élèves au code depuis 4 ans. Et en mesure déjà les bénéfices. «Je fais de la programmation en classe entière avec des CM1-CM2. Ils travaillent en équipe, se répartissent les rôles, s’écoutent. Et ça a mis en avant des enfants qui étaient en échec scolaire. »
« Ils sont très concentrés, très attentifs »
Elle cite l’exemple d’un de ses élèves en retrait, qu’elle a nommé chef d’équipe. « Il a repris confiance en lui, et du coup, il a décollé en maths et en français : ça a débloqué des choses. On n’est plus en mode “La maîtresse parle et les enfants écoutent”: ça bouge, c’est numérique, ça leur plaît. » Et, à sa grande surprise, ces séances sont particulièrement… silencieuses: « Ils sont concentrés, très attentifs à bien faire, du coup le niveau sonore est proche de zéro ! » Mais pour initier les enfants au code, encore faut-il former les enseignants. C’est l’objectif de « Class’code », un ambitieux projet piloté par l’Inria, qui fédère de nombreux acteurs. «En l’espace d’un an, 50 000 profs ont cherché à se former en France. Le besoin concerne 300000 personnes, mais ça démarre bien », note Thierry Vieville. «Des collègues ont mis au point des MOOC [Massive Online Open Courses, des cours en ligne, Ndlr], des formations sont organisées à l’École supérieure du professorat et de l’enseignement de Nice. On a aussi maillé le territoire de lieux de rencontre, pour que facilitateurs et professeurs puissent échanger.» Et s’approprier de nouveaux outils. « Quand on a joué au robot, conclut le chercheur, je savais où je voulais arriver. Ça semblait improvisé, mais c’était préparé. C’est très sérieux de ne pas faire les choses sérieusement. » (DR)
Renouer avec des pédagogies par la recherche et l’erreur ”
(Photo S. C.) (Photo VSP.fr) (Photo Inria)