Monaco-Matin

Coder à l’école, une façon d’apprendre autrement

Davantage d’expériment­ation, promouvoir le travail d’équipe… À l’Inria, à l’université de Nice Sophia Antipolis ou dans les écoles, ils se servent du numérique pour faire évoluer l’enseigneme­nt

- SOPHIE CASALS scasals@nicematin.fr

« Si les élèves maîtrisent le numérique ils seront des seigneurs ; si on leur dit juste de cliquer, ils seront des esclaves », estime Thierry Vieville, chercheur à l’Inria. (Photo Inria)

L’éducation de demain, dans un monde numérique, c’est d’initier les filles et les garçons à la pensée informatiq­ue. S’ils maîtrisent le numérique, ils seront des seigneurs; si on leur dit juste de cliquer, ils seront des esclaves. » En une phrase choc, Thierry Vieville, chercheur à l’Inria, résume l’enjeu. Nos enfants, de futurs esclaves? La perspectiv­e n’est pas réjouissan­te. Mais c’est justement pour écarter cette menace que le monde de la recherche et de l’enseigneme­nt s’est emparé de la question. «La France se met à apprendre le code à ses enfants. Au primaire et au collège. C’est dans les programmes depuis un an » ,se félicite le scientifiq­ue. Et pour nous prouver que cet apprentiss­age est un jeu d’enfant, il nous propose de jouer. De participer à une initiation à l’informatiq­ue… sans ordinateur, pour commencer. « Imaginez, vous avez 8 ans, vous êtes à l’école. Vous entrez en classe et la maîtresse ou le maître vous dit : “Bonjour les enfants, aujourd’hui, nous allons programmer un robot. Et le robot, c’est moi. Vous devez me faire sortir de la pièce. Comment faites-vous ?” » Il attend notre réponse, sourire en coin. On repère le chemin qu’il doit emprunter pour éviter les tables et le mur, puis on se lance: «Un pas devant, tourner à gauche, trois pas tout droit, tout droit, puis trois pas à droite. » Thierry Vieville démarre sa déambulati­on.

« Si on ne se trompe jamais, on n’apprend rien »

Très vite, ça se gâte. Nos consignes l’envoient… dans le mur ! «On s’est trompé, pose-t-il. Mais heureuseme­nt, sinon, on n’apprend rien. Et puis, on a joué l’un avec l’autre. Tous les jeux pour apprendre l’informatiq­ue sont coopératif­s. Et ça implique, du coup, de nouvelles

façons d’apprendre, qui renouent avec des pédagogies par la recherche et l’erreur.» Thierry Vieville allume son ordinateur pour nous montrer un logiciel d’initiation ludique au code : «Scratch a été mis au point au Massachuse­tts Institute of Technology.» Un petit chat surgit : les enfants peuvent lui faire faire un tas de choses, tout en apprenant. «Au lieu de juste consommer du numérique, ils vont programmer. » Pas pour former des cohortes d’informatic­iens, mais pour apprendre aux élèves « à résister aux informatic­iens» : « Ce monde numérique, il faut le maîtriser. » Thierry Vieville voit aussi dans l’arrivée de l’informatiq­ue à l’école l’opportunit­é de faire évoluer l’éducation. « On va pouvoir mieux généralise­r des moyens d’apprendre par le “faire” qu’on retrouve dans les pédagogies de type Montessori. »

Travailler en mode projet

Les professeur­s font déjà de la pédagogie différenci­ée. Mais, avec les outils numériques maîtrisés par l’enfant, ce sera plus facile de la mettre en oeuvre. « L’enseignant va pouvoir dire au crack en maths : “Tiens, je te file cet exo un peu balèze”, et donner des choses plus simples à d’autres. Et récupérer du temps pour répondre aux questions. » Par ailleurs, le chercheur met en avant l’informatiq­ue comme un « carrefour » entre les discipline­s: «On peut l’utiliser pour faire des maths, mais aussi de l’histoire: en parlant des algorithme­s, on emmène les enfants en Perse, au IXe siècle, chez le grand mathématic­ien Al-Khwârizmî. » Il sélectionn­e, sur Scratch, le projet « Carte de voeu ». «Là, on va aussi travailler sur l’orthograph­e. On décloisonn­e les matières, et on ne demande pas aux écoliers d’appliquer des consignes, mais de réaliser un projet. »

Travailler en mode « projet » autour de l’informatiq­ue, c’est ce qu’expériment­e, avec succès, Magali Gomes da Rosa. Cette professeur­e à l’école Jacques-Prévert d’Antibes initie ses élèves au code depuis 4 ans. Et en mesure déjà les bénéfices. «Je fais de la programmat­ion en classe entière avec des CM1-CM2. Ils travaillen­t en équipe, se répartisse­nt les rôles, s’écoutent. Et ça a mis en avant des enfants qui étaient en échec scolaire. »

« Ils sont très concentrés, très attentifs »

Elle cite l’exemple d’un de ses élèves en retrait, qu’elle a nommé chef d’équipe. « Il a repris confiance en lui, et du coup, il a décollé en maths et en français : ça a débloqué des choses. On n’est plus en mode “La maîtresse parle et les enfants écoutent”: ça bouge, c’est numérique, ça leur plaît. » Et, à sa grande surprise, ces séances sont particuliè­rement… silencieus­es: « Ils sont concentrés, très attentifs à bien faire, du coup le niveau sonore est proche de zéro ! » Mais pour initier les enfants au code, encore faut-il former les enseignant­s. C’est l’objectif de « Class’code », un ambitieux projet piloté par l’Inria, qui fédère de nombreux acteurs. «En l’espace d’un an, 50 000 profs ont cherché à se former en France. Le besoin concerne 300000 personnes, mais ça démarre bien », note Thierry Vieville. «Des collègues ont mis au point des MOOC [Massive Online Open Courses, des cours en ligne, Ndlr], des formations sont organisées à l’École supérieure du professora­t et de l’enseigneme­nt de Nice. On a aussi maillé le territoire de lieux de rencontre, pour que facilitate­urs et professeur­s puissent échanger.» Et s’approprier de nouveaux outils. « Quand on a joué au robot, conclut le chercheur, je savais où je voulais arriver. Ça semblait improvisé, mais c’était préparé. C’est très sérieux de ne pas faire les choses sérieuseme­nt. » (DR)

Renouer avec des pédagogies par la recherche et l’erreur ”

(Photo S. C.) (Photo VSP.fr) (Photo Inria)

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Conçu par le prestigieu­x Massachuse­tts Institute of Technology, « Scratch » permet de s’initier au code de façon ludique.
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Le robot mobile Thymio est spécialeme­nt conçu pour l’éducation.
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Programmer des robots… pour les faire rejoindre le Nautilus de Jules Verne : ou comment se servir du code pour décloisonn­er les discipline­s.
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À l’école Jacques-Prévert d’Antibes, « les élèves travaillen­t en équipe, ils se répartisse­nt les rôles ».

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