Claudie Haigneré: «On ne peut pas se passer de % des intelligences»
La semaine dernière, la célèbre spationaute française était de passage à Toulon. Nous l’avons rencontrée au stade Mayol où elle présidait un match de rugby en hommage aux blessés de guerre
Bien avant le très médiatique Thomas Pesquet, Claudie Haigneré fut la première femme française à voler dans l’espace. Une première fois en 1996, à bord de la station orbital russe Mir. Puis en 2001, à bord de la station spatiale internationale (ISS). Si l’espace reste son quotidien, cette pionnière ne tutoie plus désormais les étoiles. Son expérience, elle la met au service des jeunes générations. Rencontre avec une femme d’engagement. Et d’exception. Professionnellement, vous avez exercé plutôt loin du monde militaire. Pourquoi avoir accepté de prendre la présidence de Solidarité Défense ? Je suis depuis longtemps très engagée dans différents types d’associations ou de fondations (fondation L’Oréal, fondation de France). Ayant eu une vie tellement privilégiée, j’aime donner de mon temps pour rendre un peu de ce qu’on a pu m’apporter. Je suis dans la transmission, le partage. Et il est clair que ma vie d’astronaute fait aussi que je suis une personne souvent présente sur les estrades, qui peut parler, qui a un réseau… Ce qui peut faciliter certaines mises en contact. Donc quand je m’engage, c’est aussi parce je sais que je peux ouvrir des portes ou faire avancer des dossiers grâce à cette « aura » que représente le fait d’avoir participé à des missions spatiales.
Mais pourquoi avoir choisi Solidarité Défense ? Je tiens à préciser que je ne suis pas aussi étrangère au monde militaire qu’on peut le penser. Mon mari est un général de l’armée de l’Air et j’ai le privilège d’être moi-même un colonel de la réserve citoyenne de l’armée de l’Air. Par ailleurs, j’ai siégé un temps au conseil scientifique de la Défense. Aussi quand l’amiral Lanxade m’a demandé de prendre sa succession, quelque chose a très vite résonné en moi à l’idée de m’engager auprès du monde de la Défense. Et en particulier auprès des militaires qui sont là pour nous protéger, nous défendre. J’ai pensé que la société civile devait être présente. En me présentant tout ce qui avait été fait, mis en place, notamment en matière de réinsertion professionnelle, de réinsertion sociale des militaires blessés, sans oublier la réinsertion sportive qui nous amène aujourd’hui à Mayol, l’amiral Lanxade a fini de me convaincre. Et j’ai eu envie de me mettre au service de cette belle mission. En tant que présidente de cette association, je suppose que vous avez un regard particulier sur le sacrifice du lieutenant-colonel Beltrame. Je suis comme tous les Français et tous ceux qui se sont exprimés après ce moment terrible. Je suis très respectueuse et admirative de cet engagement jusqu’au bout pour porter les valeurs et les possibilités d’action qui étaient les siennes. C’est effectivement un héros et j’ai cette image d’un acte héroïque, d’un acte de bravoure qui est allé jusqu’au sacrifice de sa vie pour essayer de trouver une solution à un problème.
On a dit que vous aviez « porté l’égalité homme-femme jusque sur la lune». Comment réagissez-vous au débat actuel sur la place des femmes dans la société ? Je milite pour la diversité. C’est bien plus large que d’avoir simplement des femmes et des hommes. La diversité, c’est essayer de trouver en chacun ce qui fait que tous ensemble on est plus intelligent. Ce que j’appelle l’intelligence collective. Et cette intelligence collective, elle vient du fait qu’on est en contact avec des gens qui ont des cultures différentes, qui vont avoir un regard différent sur la vie ou sur une activité. La diversité des métiers aussi est importante. Et aujourd’hui, on le sait bien : pour réussir à faire quelque chose, il faut à la fois des ingénieurs, des scientifiques, des économistes, des sociologues, des philosophes… C’est ça le XXIe siècle ! Mais pour en revenir à l’égalité homme-femme, la société étant composée de % d’hommes et de % de femmes, ces dernières doivent être beaucoup plus présentes. En particulier dans le domaine des sciences et des technologies qui façonnent notre avenir. Prenons l’exemple du digital, du numérique, les femmes ne sont que %! C’est-à-dire que le monde de demain va être écrit très majoritairement par des hommes. Ce n’est pas normal. La (Photo Valérie Le Parc) société doit permettre à chacun de s’exprimer. Et puis on a tellement besoin d’avoir toutes les intelligences qu’on ne peut pas se passer de % d’entre elles…
Vous avez suivi les aventures de Thomas Pesquet. En communiquant tous les jours n’a-t-il pas tué une part du mystère qui entoure la conquête spatiale ? Non, ça n’a rien tué du tout. Vous avez vu l’enthousiasme avec lequel ses photos ont été accueillies, les interactions qu’il a eues avec tout un tas d’écoles. C’est formidable d’avoir pu partager l’expérience de Thomas Pesquet ! Et c’était très bien de le faire en temps réel. Il n’est d’ailleurs pas le seul à avoir communiqué autant. Les autres astronautes européens ont fait eux aussi un tabac en communiquant en vol. Je crois qu’on a besoin d’inspiration. On a besoin de penser le futur, de penser demain, de sortir de l’ordinaire. En particulier la jeune génération qui a envie de s’engager. Et le spatial est un très bel outil pour donner des visions d’avenir. Je le vois avec les militaires blessés que je côtoie plus fréquemment. Bien sûr, ils sont heureux qu’on soit à leurs côtés, dans la solidarité, dans l’empathie, qu’on les aide sur des problèmes matériels, ou des problèmes de réinsertion. Mais ils m’interrogent souvent sur mes missions spatiales passées, parce qu’ils ont envie que je leur fasse partager quelque chose qui les sort de leur douleur ou de leurs difficultés. L’espace vous manque ? Mais l’espace est encore mon quotidien. Je suis à l’agence spatiale européenne. Certes, je ne vole plus, mais je prépare les vols des jeunes. Il faut passer la main aux jeunes générations.
Croyez-vous que l’avenir de l’humanité passe par l’espace ? Qu’il faudra, pour survivre, migrer vers une autre planète… Il ne faut pas considérer l’espace comme une fuite par rapport à notre planète. Pour moi, cet espace, qu’on continue à découvrir, à explorer, doit avant tout être source d’inspiration. Il doit nous permettre de repousser nos limites, de franchir des étapes qui ne nous sont pas encore accessibles. C’est ce gène de l’exploration, de la découverte, de la curiosité qui nous pousse à aller plus loin. Je crois qu’on apprend beaucoup des problèmes qu’on rencontre à la surface de la terre en pensant à des lieux inhabituels qui nous obligent justement à être créatif, innovant, imaginatif. Et puis, ne l’oublions pas : c’est en observant la Terre depuis l’espace qu’on prend conscience de la fragilité de notre planète. Et de l’urgence qu’il y a à la préserver. En matière de gestion des ressources, de traitement des déchets… La conquête de l’espace peut nous apporter des solutions innovantes. Je crois vraiment beaucoup aux retombées des avancées technologiques réalisées pour le spatial en ce qui concerne nos problèmes au sol.
La société doit permettre à chacun de s’exprimer” Il faut passer la main aux jeunes générations”