Monaco-Matin

Olivier Delacroix: «Survivre sans haine après l’attentat»

Son émission Dans les yeux d’Olivier fédère 1,5 million de téléspecta­teurs sur France 2. Delacroix était en tournage à Nice ces jours-ci, au côté d’un couple qui a perdu son enfant dans l’attentat

- PROPOS RECUEILLIS PAR FRANCK LECLERC fleclerc@nicematin.fr

Son look de rasta blanc à dreadlocks n’a pas d’équivalent à la télévision. C’est peut-être ce qui le rend étrangemen­t rassurant. N’en tirer aucune conclusion : Olivier Delacroix est un homme certes attachant et prévenant, mais également remarquabl­ement structuré. Sens des responsabi­lités, suite dans les idées. Sa force? Écouter d’abord ses invités, puis les accompagne­r dans leur confession sur des sujets douloureux, sans jamais racoler. Il s’est intéressé récemment aux relations toxiques, et se concentrer­a le 25 avril prochain sur le retour à la vie après une agression ou une lourde dépression. Entre-temps, il est venu tourner à Nice un volet de l’émission qui sera diffusée à l’automne, consacrée aux victimes des attentats islamistes.

Sur quel angle travaillez-vous ?

Je prépare un film sur les victimes d’attentat. Plus précisémen­t sur la façon dont s’opère la reconstruc­tion. On parle beaucoup plus des terroriste­s, finalement, que des victimes restées en vie. Je pense à tous ces gens qui ont pris des balles au Bataclan, ou en terrasse, ou à ces parents orphelins d’un enfant après l’attentat de Nice. J’ai passé trois jours ici, avec un jeune couple qui a perdu un petit garçon de quatre ans et demi. Pour essayer de comprendre comment on vit quand, deux secondes auparavant, on mangeait des glaces au chocolat en se marrant parce que le petit en avait plein la bouche et que, tout à coup, il meurt sur la promenade des Anglais.

Qui est ce jeune couple ?

Samira et Mickaël sont originaire­s de Grenoble. Ils s’étaient installés à Nice trois ans auparavant. Yanis était leur seul enfant à l’époque, ils en ont eu un depuis qui, aujourd’hui, a onze mois. Voir comment on se reconstrui­t, comment on arrive à se tenir debout, à remarcher : c’est extrêmemen­t difficile, ce tournage. Évidemment très dur.

Ce drame ravive certaines douleurs en vous ?

Oui, bien sûr. On en a parlé. Ce sont eux qui arrivent à cette conclusion : perdre son fils dans un attentat ou d’une malformati­on cardiaque, comme cela m’est arrivé, c’est quand même un enfant qui s’en va. Et un enfant, ça ne devrait pas partir. Mais il y a une sorte de fatalité dans la maladie, que l’on ne voit pas lorsqu’un enfant part sous les coups d’un meurtrier.

Quels seront les autres témoins dans cette émission ?

J’étais il y a dix jours avec l’un des otages du magasin Hyper Cacher, ensuite avec une photograph­e de Rock & Folk qui a pris une balle dans le dos et qui a été otage au Bataclan. On finira avec des Français qui ont été victimes de l’attentat du musée de Tunis.

Comment ce jeune couple de Nice fait-il face ?

Chez ces jeunes gens, puisqu’ils ont trente-cinq ans, il y a cette notion d’être toujours sur un fil. Entre profiter du bonheur qui consiste à s’occuper d’un bébé, à le choyer, et porter ce sentiment de culpabilit­é qui entoure la mort d’un enfant dans un attentat. Il se dégage de leur témoignage une dignité très particuliè­re. Elle musulmane et lui « sans étiquette », on va dire, avec une grande douleur, bien évidemment, et une grande force. Ce qui m’intéresse aussi, c’est de comprendre comment eux survivent à ça sans être totalement dans la haine. De la haine, il y en a. Mais pas au point que cette colère les empoisonne. C’est plutôt le manque de cet enfant qui prend le dessus.

Qu’est-ce qui les a poussés à témoigner ?

Un devoir de mémoire, plus que toute autre chose. Je pense qu’ils sont devant un refus profond que l’on banalise la mort d’un enfant. Ce qui revient souvent dans notre échange, c’est qu’un petit de quatre ans et demi ne sait pas ce que c’est qu’un camion qui fonce à  km/h sur la promenade des Anglais. Je partage également leur sentiment que, ce soir-là, tout n’a pas été fait en matière de sécurité. L’avenir nous dira ce qu’il s’est passé et qui porte les responsabi­lités, mais ces parents-là sont en colère.

Que font-ils aujourd’hui ?

Tous deux étaient chauffeurs de camion… Mickaël a repris son travail, Samira pour l’instant s’occupe de son foyer.

Quel sentiment leur histoire éveille-t-elle en vous ?

Je m’en veux, que cela génère de la haine en moi. Mais oui, j’ai de la haine. Ce discours de victimisat­ion d’une partie de notre population, l’idée selon laquelle on aurait laissé tomber cette jeunesse et qu’elle serait donc à la dérive à cause de nous… La grande arnaque de Daesh, elle est là. On oublie trop souvent que dans ces quartiers, il y a plein de familles qui s’en sortent, qui travaillen­t, qui ont des valeurs. Celles dont on ne parle jamais. Oui, ça me met la haine que des djihadiste­s agissent au nom d’un islam dont ils ignorent totalement le fond. Et puis, penser que l’on a raté sa vie à cause de la société, je trouve que c’est un peu fastoche. J’ai croisé trop de gens courageux pour adhérer à ce discours-là.

Se pose aussi la question du retour des djihadiste­s…

C’est très compliqué. Je suis extrêmemen­t préoccupé par la perspectiv­e des retours ou des sorties de prison. Pour moi, tout « combattant » pris en Irak ou en Syrie doit être jugé là-bas. L’Histoire a montré qu’on était trop gentils. On a laissé déclamer la haine chaque week-end en Angleterre. On a accepté que ShariaBelgium importune des personnes dans la rue. Vous avez vu ce que ces gens en font, de la liberté et de la démocratie ? Ils se torchent avec. Alors non, je n’ai pas de pardon.

Quelles relations entretenez-vous par la suite avec vos témoins ?

Certains ont envie de me revoir. Avec d’autres, on sent un besoin de passer à autre chose. Il peut y avoir de vraies affinités, comme avec Antoine Soave [un caviste et restaurate­ur qui avait témoigné en  sur son enfance martyre, Ndlr] à Nice. Nous sommes connectés, c’est quelqu’un qui me touche. L’enfant martyrisé est loin de nous. Ce que j’aime, c’est l’homme qu’il est aujourd’hui.

Vos sujets sont lourds. Comment supporter ?

On grandit, on se construit en se confrontan­t aux autres. Je sais faire la part des choses entre leur malheur et mes épreuves à moi. J’absorbe, mais je sais me protéger. Dans les yeux d’Olivier : les rescapés. Mercredi 25 avril, à 22 h 30, sur France 2.

Survivre sans être dans la haine ” La grande arnaque de Daesh ”

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 ?? (Photo F. L.) ?? Avec Antoine Soave, caviste et restaurate­ur niçois qui avait témoigné en  sur son enfance martyre.
(Photo F. L.) Avec Antoine Soave, caviste et restaurate­ur niçois qui avait témoigné en  sur son enfance martyre.

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