Monaco-Matin

Ados et prostituti­on : une Azuréenne témoigne

Ils sont encore adolescent­s et ils s’offrent pour de l’argent. Ce soir, France 5 diffuse « Jeunesse à vendre » pour expliquer ces « passages à l’acte », facilités par les réseaux sociaux

- STÉPHANIE GASIGLIA sgasiglia@nicematin.fr

Un regard, un sourire craintif. La porte de son studio à peine entrouvert­e, elle lâche : «Iln’y a pas d’âge pour foutre sa vie en l’air » Sur son annonce, Sarah – c’est son vrai prénom, mais pas celui qu’elle donne à ses clients – dit avoir 20 ans. En vérité, elle en a 16. Elle referme la porte doucement. Pièce toute petite… Rendue plus petite encore à cause d’un immense lit envahi de coussins et qui ne laisse guère de place pour le reste. À peine un fauteuil rose coincé entre un mur et une minuscule fenêtre. Les volets sont fermés. « Je ne les ouvre jamais ». Son 24 m2 est dissimulé derrière l’avenue Jean-Médecin à Nice. Le coeur de ville. Avec vis-à-vis.

Presque une lycéenne lambda

Sur ses talons noirs, pas si vertigineu­x, dans son pantalon noir, moulant mais pas trop, dans sa chemise en jean toute simple, Sarah est une jeune fille banale, à peine plus apprêtée qu’une lycéenne lambda. Elle s’essuie les yeux : « Je me remaquille toute la journée sans me démaquille­r, c’est un peu le chantier ». Sarah a posé sur la table un paquet de chips, deux verres et une bouteille de vin blanc. « Ça vous dit de boire un verre? ». Voix fluette et peu assurée. La jeune fille a hésité longtemps avant de témoigner. « En fait, ça va me faire du bien, car je n’en parle avec personne sauf avec ma cousine», avaitelle fini par répondre. Depuis ses 14 ans, Sarah se prostitue. Elle ne prononcera jamais ce mot. Depuis un an elle s’est même organisée et dépose des annonces sur des sites internet. Pourtant, pour ses parents, elle est une étudiante « normale ». « Ils habitent à Saint-Roch. Je vis encore chez eux. Et la journée je suis ici. Ils croient que je suis en CAP coiffure à Car ros. » Pratique, dit-elle. « Comme c’est loin, je peux rentrer chez mes parents vers 20 h, 20 h 30 sans qu’ils se doutent de quelque chose ».

«  euros par jour Parfois moins »

Toute sa journée, Sarah la passe dans ce studio que sa cousine, qui vend son corps comme elle, a loué à son nom. « Elle a 26 ans. C’est elle qui m’a expliqué comment m’organiser ». « Il m’arrive de me faire 400 euros par jour. Parfois moins. Je pourrais me faire beaucoup plus. » Sa vie est réglée comme une horloge. « Je pars de chez mes parents à 7 h et j’arrive au studio. Je redors jusqu’à midi, car la nuit je n’y arrive pas.» Sarah est accro aux réseaux sociaux. Et aux vidéos sur YouTube. Elle sourit en touchant ses cheveux – « des extensions » – «Je regarde des tutos coiffures. Comme ça, je peux coiffer ma mère et mes deux soeurs et elles n’y voient que du feu. Elles croient que je suis une pro. »

« Honte ? Non »

À midi, Sarah gère « son agenda ». Puis s’habille pour « recevoir ». Il est 21 h 30. Du bruit dans le couloir de l’immeuble. Des cris… Alors, non, elle n’a pas peur du regard des voisins. Elle hausse les épaules : « C’est un immeuble de cas sociaux. En face, c’est un drogué qui capte rien. À côté c’est une fille qui doit faire comme moi. En dessous deux vieux. En haut je ne sais pas. Ici tout le monde s’en balance. Vous avez vu l’état des parties communes ?», lâche-t-elle, en finissant son verre de blanc. Elle a envie de parler. Mais hésite. Par quoi commencer ? Par ça : «Un jour je me suis fait un peu peur quand même. Le client est venu avec trois copains. J’ai dû accepter que les trois regardent, j’avais trop la trouille que cela dégénère. Les autres m’ont pas touchée. » Elle bouge nerveuseme­nt ses jambes : « Je ne ferai pas sa toute ma vie, c’est sûr». «J’ai des économies. Quand j’arrive à la somme que je me suis fixée, j’arrête tout et je pars m’installer aux États-Unis », rêve-t-elle. Sarah n’a pas de petit copain : « Trouve un mec qui accepte ce que je fais. » Elle rit, mais pas franchemen­t. Et elle n’a plus vraiment d’amis non plus. «Pas grave j’ai ma cousine et ses copines. Et le week-end je suis chez moi avec mes parents et mes soeurs, ça fait du bien. » Sarah retrouve sa chambre de « gamine ». Un cocon. Elle avoue avoir la hantise que sa famille apprenne un jour. « Je ne veux pas y penser. J’improviser­ais. » Sarah se laisse aller : « J’ai commencé dans les toilettes d’un snack près du collège. J’étais en quatrième. Des pipes. C’était cool, je me faisais 50 euros parfois par semaine. Je voyais pas le mal en fait. J’étais même pas une ado à problèmes. Je bossais bien à l’école. Une fille normale quoi. Mes parents n’ont pas de blé, alors moi j’avais l’impression d’en avoir », murmure la jeune fille, en triturant un coussin doré. Et puis, un jour, elle se confie à sa cousine. Elle avait 15 ans passés. « J’avais compris ce qu’elle faisait, même si pour toute la famille elle est femme de chambre dans un hôtel. » « Elle a compris que comme elle, coucher, ça ne me dérangeait pas. Je fais ça comme si je vendais du parfum dans une boutique. Je gagne plus c’est tout. » La honte? « Non. J’aurai honte seulement si ma famille l’apprend. »

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(Capture d’écran Franck Fernandes) Sur le site de petites annonces, section « adultes », Sarah, comme les autres a menti sur son âge…

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