Le chantier du siècle ? Non, un spectacle désolant
«Il a fallu que ce soit un maire, pâtissier de formation, qui s’en émeuve pour qu’on en parle. Ou sont les services de l’État ? C’est la chienlit !» Tout en pestant, Jean-Pierre Vassalo, maire de Tende, escalade tant bien que mal le tas de gypse et d’anhydrite. Une petite montagne de plusieurs dizaines de tonnes sur fond, au loin, de nature sauvage et de cimes enneigées. À cinquante mètres à vol d’oiseau, on aperçoit un autre tas. Encore plus imposant. Retour au premier monticule. Devant nos pieds, à dix mètres, les vallons de «Canelle» et de «Ca» bouillonnent furieusement. Cent mètres plus bas, ils alimentent la Roya. Les dernières pluies ont laissé au sol de profonds sillons de ravinement. Depuis les gravats, ils courent jusqu’à l’eau. Sur l’arrière de ce dépôt illégal, le bassin de décantation paraît à l’abandon. Le maire de Tende est en colère. «C’est un scandale économique, écologique, environnemental et peut-être halieutique. Avant la construction du tunnel, on nous a fait tout un cinéma avec la dangerosité de ces déchets en disant qu’il fallait une carrière spéciale, étanche. Soitdisant, il ne fallait absolument pas les laisser plus d’une journée à l’air libre. Et ils sont stockés ici depuis juillet !» Le maire en veut aux autorités, à l’État notamment, qui n’a selon lui pas pris les mesures d’urgence nécessaires dès le risque détecté. Initialement, ces déchets devaient être emmenés en train. Il avait finalement été convenu qu’ils seraient pris en charge par les Italiens puis expédiés à Asti (Piémont) par camions, pour y être transformés en plâtre. Ils sont toujours là. À ses côtès, Angelo Fruttero, le maire de Limone, tient le même discours. Il a franchi
l’ancien tunnel pour nous rencontrer et venir soutenir
son homologue : «Cette situation nous inquiète beaucoup. Ces matériaux ne devaient pas rester plus d’une journée. Il y a un vrai danger écologique. Cela ne devait pas rester à la pluie car il y a une modification chimique dangereuse pour la santé au contact de l’eau potable.» À quelques mètres, JeanPierre Vassalo nous désigne une canalisation déversant
directement dans le vallon de la Canelle des eaux provenant du tunnel. «Regardez ça, ce sont des eaux qui viennent du tunnel en percement. Que contiennent-elles ?»
Alerte en et truitelles surveillées
En 2015, l’association «Roya Nature Expansion» avait déjà alerté après l’observation d’eaux troublées dans la Roya à Vievola. L’analyse des rejets avait montré la présence de sulfates en quantité supérieure aux valeurs autorisées. Le maire en est à surveiller les truitelles, pour s’assurer qu’elles ne meurent pas. Cela ne semble pas encore être le cas. Si cela arrivait, il serait de toutes façons trop tard. À quelques kilomètres de là, côté italien, des salariés de Fincosit, licenciés, manifestent. Autour de nous, côté français, le spectacle est désolant. Le chantier de percement du tunnel est à l’arrêt, les machines silencieuses. Des matériaux sont entreposés de manière anarchique : ferraille, bois, béton. C’est donc cela le chantier du siècle à 200 millions d’euros ? Un taudis plutôt. Une double porte menant à l’entrée du futur tunnel, fermée par deux petits cadenas, laisse entrevoir des mares d’eau stagnante d’une couleur peu ragoûtante. Plus loin on distingue le mur de soutènement de onze mètres de haut qu’il a fallu consolider en urgence après expertise réclamée par le procureur de la République. Là aussi, des matériaux avaient été volés, fragilisant l’édifice. Un désastre total.