Le Cannet : quand un ascenseur tue
Un homme de 67 ans est mort en chutant dans la cage d’un ascenseur défectueux. Malgré huit ans d’enquête, difficile à la justice de percer le mystère accident aussi tragique que rarissime
C’est un accident à peine croyable qui s’était déroulé dans une résidence du Cannet, le 17 mai 2010, vers 17 heures. André Poulet, 67 ans, vient d’aller acheter des médicaments pour un ami. Il appelle l’ascenseur pour monter au cinquième. Il ouvre la porte, pénètre, croit-il dans la cabine, avant de tomber… dans le vide. Une chute fatale de treize mètres. La victime est tuée sur le coup au troisième sous-sol. Huit ans plus tard, Martin Delage, président du tribunal correctionnel de Grasse tente, avec humilité, de percer le mystère de cette mort absurde. «C’est un dossier tragique mais aussi très technique », concède le magistrat. Jean-Claude Georges, le fondateur de la SARL Ilex, est renvoyé devant la juridiction pénale pour homicide involontaire. Le parquet avait abandonné les poursuites. Pas le juge d’instruction qui estime avoir démontré des manquements à une obligation de prudence et de sécurité.
Problème de frein?
Quatre expertises, parfois contradictoires, sont venues étoffer l’enquête. L’une d’elles met en cause la maintenance du système de freinage de la cabine d’ascenseur. Une vis desserrée pourrait être à l’origine de l’accident mortel. « Qu’en pensez-vous ? », s’enquiert le président Delage auprès du prévenu : « Un témoin a vu la cabine s’arrêter puis repartir. C’est la preuve que le frein fonctionnait », note Jean-Claude Georges. « Pour moi, Le problème provient de la carte électronique de gestion de l’ascenseur. » Une expertise exonère la carte électronique. « L’expert désigné n’était autre que le fabricant de cette carte», oppose le prévenu. «Koné a fait changer des pièces qui n’ont rien à voir avec le freinage. Et s’il a aussi vite remis en service cet ascenseur, c’est qu’il connaît la cause », contre-attaque Jean-Claude Ilex. Le procureur Alain Guimbard s’interroge sur le comportement de certains salariés après l’accident tragique: « Sur les écoutes, on entend votre responsable demander de supprimer les shunts [dérivateurs électriques, ndlr], avant le passage des policiers.» Le rouge monte aux joues du prévenu : « Il n’y avait pas de shunts. » Me Lionel Escoffier, partie civile, défend les intérêts du fils du défunt. Il qualifie « le Palais des Trois Bonheurs », le nom de l’immeuble, de « Palais de l’horreur». Et incrimine la société chargée de l’entretien : « Une photo, le (photo archives P. Clemente) jour du drame, montre une vis avec un débattement. Quelque temps plus tard, la vis a été resserrée. Ça reste une zone d’ombre... » Le procureur Guimbard requiert 20 000 euros d’amende et une publication judiciaire. « Je ne peux me résoudre à dire : c’est la fatalité», souligne le magistrat, à contre-courant de l’un de ses collègues qui avait estimé que la vérité n’avait pu être découverte. Pour la défense, Me Hadrien Larribeau plaide la relaxe et coupe court à toute polémique : « L’ascenseur était sous scellés après l’accident. On ne pouvait plus intervenir par malveillance pour effacer ou compromettre des preuves.» L’avocat d’Ilex martèle que « les expertises ont prouvé que le frein était efficace . [... ] Seule la quatrième expertise, un peu à court d’arguments, évoque une hypothèse : celle d’un mauvais réglage du frein établi sur la base de photos et écarte la cause d’un dysfonctionnement électronique. Cela sans en établir la preuve matérielle.» La défense rappelle également que la victime, qui avait de l’alcool dans le sang, avait pu avoir sa vigilance altérée. Le tribunal rendra son jugement le 24 mai.