Monaco-Matin

La figure de l’ombre

Arrivé en cours de saison au poste de directeur sportif, Michael Emenalo sera attendu cet été pour sa capacité à remodeler l’effectif de l’AS Monaco mais aussi pour son savoir-faire

- MATHIEU FAURE

Monaco va jouer une partie de son avenir contre Amiens (samedi, 20 h). Après deux défaites consécutiv­es en Ligue 1 Monaco ne compte plus qu’un petit point d’avance sur l’OL et l’OM dans la course à la deuxième place. Leonardo Jardim compte faire réagir son groupe même si le coach portugais ne s’appuie par vraiment sur le dernier mercato estival puisqu’aucune des recrues de l’été 2017 ne figure dans les onze joueurs les plus utilisés. Keita Balde est douzième et Soualiho Meïté a, par exemple, autant joué avec Monaco cette saison... que Kylian Mbappé. Une manière de pointer du doigt la difficulté de mesurer la réussite d’une politique sportive, en l’occurrence celle d’Antonio Cordon, directeur sportif parti à l’automne rejoindre le groupe de l’homme d’affaires chinois Jiang Lizhang, qui contrôle notamment Granada, Parme et le Chongquing Ligan. Pour lui succéder, c’est le Nigérian Michael Emelano qui est arrivé après plus de dix ans à Chelsea. Emelano, c’est une pointure. Un crack. Un nom reconnu au sein du milieu du football. Preuve que le Président Dmitri Rybolovlev sait parfaiteme­nt cibler les postes clés après Vadim Vasyliev et Leonardo Jardim. L’été prochain, l’ancien Super Eagle (13 sélections) dirigera donc son premier mercato sur le Rocher. Et il sera très attendu. D’une, parce que le groupe monégasque devra être régénéré. De deux parce que son savoir-faire en la matière est unanimemen­t salué. Concrèteme­nt, qui est Michael Emenalo ? Né en 1965 à Aba, une ville très universita­ire du Nigeria, Emenalo découvre le football et intègre le club de la région, Enugu Rangers qui truste les titres à cette époque (6 fois champions entre 1974 et 1986) et qui verra passer plus tard un certain Jay-Jay Okocha. Alors qu’il se prédestine à une carrière d’avocat, le jeune milieu défensif va poursuivre son cursus universita­ire aux USA en 1986 et rejoint la ligue universita­ire américaine. Il débarque à Boston et son coach de l’époque, Neil Roberts, se souvient « d’un joueur exceptionn­el, de quelqu’un de très intelligen­t » lors d’un entretien accordé au quotidien anglais The Independan­t. C’est le début du tour du monde d’Emelano. Après Boston, c’est Molenbeek en Belgique, puis Trève en Allemagne, Notts County (Angleterre), San José (USA), Lleida (Espagne) pour finalement terminer sa carrière en Israël, à Tel Aviv. Joueur, Emelano voit plus grand. Plus loin. C’est pourquoi Juande Ramos, qui fut son coach à Lleida en 1997, pense à lui dix ans plus tard pour l’épauler quand il arrivera sur le banc de Tottenham. Mais c’est un autre ancien entraîneur qui va changer sa vie, son dernier coach : Avram Grant. L’Israëlien l’introduira à Chelsea en 2007 via un personnage sulfureux et dans l’ère du temps, un certain Pini Zahavi, l’agent qui a facilité, entre autres, l’arrivée de Neymar au PSG l’été dernier. Chelsea, la suite d’une nouvelle vie déjà tournée vers la direction sportive. Une fois les crampons raccrochés en 2000, l’ancien internatio­nal retourne aux ÉtatsUnis et décide de prendre en main bénévoleme­nt l’équipe de Virginia Tech avant de devenir scout pour la Tuscon Soccer Academy en Arizona. L’ancien joueur se transforme alors en recruteur hors pair avec un oeil aiguisé, neuf, précis. « C’est un gens du monde, curieux de tout et respectueu­x » dit-on dans son entourage. Sur le CV, Emelano parle au moins cinq langues : Anglais, Français, Espagnol, Italien et Israélien. Le football moderne n’a aucun secret pour lui. Dix ans à Chelsea, ce n’est pas rien. Surtout quand on gagne la confiance de Roman Abramovitc­h, le propriétai­re du club. Scout des équipes adverses à partir de 2007, il va aiguiser son regard pendant plus de trois ans. Déjà, il voit tout. Observe. Décortique. Analyse. En 2010, à la suite du départ précipité du regretté Ray Wilkins, il devient l’adjoint de Carlo Ancelotti sur le banc de touche avant de devenir, l’été suivant, directeur technique des Blues. Une progressio­n fulgurante qui fait dire à la même époque à Nwanko Kanu qu’il « s’agit de l’Africain le plus influent d’Europe » dans les colonnes du Guardian. Le recrutemen­t, c’est lui. On lui doit notamment la filière « belge » symbolisée par Courtois, De Bruyne, Lukaku et Hazard mais aussi Salah, Kanté, Willian, Azpilicuet­a. Tous n’ont pas réussi à Chelsea (Salah et De Bruyne notamment) mais un directeur sportif ne fait pas l’équipe. Son projet sportif comporte deux axes majeurs : la refonte de l’Academy et un gigantesqu­e système de prêts pour faire progresser les joueurs. Deux réussites. Chez les jeunes, tout d’abord, Chelsea remporte deux Youth Leage (2015, 2016) et confirme son statut de club formateur. Champion du monde des moins de vingt ans en juin dernier, l’Angleterre a pu s’appuyer sur plusieurs jeunes des Blues à commencer par le meilleur joueur du tournoi, l’attaquant Dominik Solanke. Deuxièmeme­nt, le schéma de prêts du club anglais a, parfois, été critiqué de par son ampleur (plus de 34 joueurs prêtés l’an dernier) mais il a permis à des garçons de faire leurs armes ailleurs avant d’intégrer durablemen­t le onze de Chelsea. A titre d’exemple, trois titulaires du XI actuel d’Antonio Conte ont bénéficié de ce système de prêts :

‘‘ C’est l’Africain le plus influent d’Europe” Nwanko Kanu en 2010

Courtois, Christense­n et Moses. Monaco connaît bien le système puisque Mario Pasalic, recruté par Chelsea à 18 ans, a été prêté à l’ASM en 2015-2016. Le croate, qui a aussi été prêté à Elche, Milan et Moscou, n’a encore jamais joué pour les Blues. Dès son arrivée sur le Rocher, Emenalo s’est vite rapproché du Cercle Bruges, le club filial de l’ASM. Tout sauf un hasard. Quelque part, Monaco a tiré le gros lot car, usé par dix ans chez les Blues, celui que l’on appelait « le diplomate », souhaitait retrouver un autre projet conséquent et ambitieux. C’est le cas. A Monaco, il n’a pas tout chamboulé malgré des renforts de poids comme Yannick Menu, ancien directeur du centre de formation de Rennes ainsi que plusieurs scouts passés par Chelsea. Homme respecté et profession­nel encensé, Roman Abramovitc­h a toujours été impression­né par la loyauté, le savoir-faire, la connaissan­ce du football ainsi que les réseaux d’Emenalo. A La Turbie, on décrie un homme qui ne se plaint jamais, trouve toujours une solution à tout mais qui sait également recadrer quand il faut. « Il connaît déjà tous les meilleurs jeunes d’Europe de par son passage à Chelsea. Son travail demande du temps pour être jugé, au-delà d’un simple mercato en tout cas. Il a été joueur, il a été proche de dirigeants influents, c’est quelqu’un qui te fait gagner du temps car il maîtrise parfaiteme­nt les contours du projet monégasque » dit-on en interne. Et si c’était lui, la meilleure pioche monégasque depuis un moment ?

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(Photos AFP) Ancien défenseur du Nigeria (ci-dessous, contre l’Argentin Gabriel Batistuta lors du Mondial ), Michael Emenalo est aujourd’hui un directeur sportif reconnu.
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