Monaco-Matin

Michel Acariès: «On est tombés tout petits dans la boxe»

Il a été l’artisan de la carrière de son frère Louis, double champion d’Europe de boxe, avant de devenir organisate­urs de combats. D’Alger à Paris en passant par Las Vegas, leur parcours est unique

- PROPOS RECUEILLIS PAR SAMUEL RIBOT/ALP (1) : A lire : « Pieds noir, poings nus, de Babel-Oued à Las Vegas », de Pierre Ballester et MichelAcar­iès.Editions Flammarion,304 pages, 20

Vous venez d’une famille de boxeurs. Avez-vous un jour envisagé de faire autre chose ? Nous sommes tombés dedans tout petits. Mon père organisait des combats en Algérie, et Louis et moi avons toujours baigné dans de la boxe. Mais ce qui a vraiment déclenché notre parcours, ce sont les qualités de Louis, et cela dès son plus jeune âge. C’était un gamin à la fois turbulent et chevaleres­que, qui était bagarreur mais allait aussi défendre les plus faibles. On peut dire qu’il a épousé le noble art parce qu’il était fait pour ça, tout simplement.

Vous avez dû quitter l’Algérie en  et la blessure est toujours là. Vous n’avez jamais cessé d’y penser ? J’y pense chaque jour. Ce ne sera jamais cicatrisé. Mon Algérie française est toujours là. A l’école, on commençait par la leçon de morale et on chantait la Marseillai­se ! Je n’avais jamais rien connu d’autre !

Vous semblez avoir une approche apaisée de tout cela désormais… Aujourd’hui, je peux comprendre tout le monde. Je peux comprendre la colonisati­on, ce qu’elle a apporté de bon et de moins bon, ce qu’elle a engendré pour les uns et les autres. Ce que je n’ai pas compris en tant qu’enfant, c’est l’exode. Quand j’ai quitté l’Algérie, avec mon frère et ma mère, nous avons été parqués. La dernière fois que nous avons vu mon père là-bas, c’est derrière des barbelés et sous des miradors, avec des gardes mobiles qui nous entouraien­t…

Diriez-vous que cet exode et cette séparation vous ont façonnés, vous et votre frère ? Inévitable­ment. Lorsque nous sommes arrivés en France métropolit­aine, nous étions traumatisé­s. A l’école, on se moquait de nous, de notre accent, de nos manières. Nous nous étions toujours sentis français, et nous ne comprenion­s pas qu’on nous traite comme des étrangers. C’est pour ça que, plus tard, La Marseillai­se qu’on a fait résonner à tant de reprises durant la carrière de Louis a toujours sonné à nos oreilles d’une manière très particuliè­re. C’était encore plus fort pour nous, comme une revanche.

Cette carrière n’était pourtant pas écrite. Vous avez dû mentir à votre père pour pouvoir pratiquer la boxe, vous et votre frère… C’était un sujet tabou. Mon père avait organisé de beaux combats en Algérie dans les années , mais la guerre a tout mis par terre. En arrivant en France, il a tout fait pour préserver sa licence de taxi, pour nous avoir un logement HLM, pour s’occuper de nous. Il a mis de côté tout le reste, y compris la boxe. Mais je me suis quand même inscrit à la boxe lorsque nous sommes arrivés à Marseille. Et je disais à mon entraîneur «le jour où je pourrai vous amener mon frère, vous verrez que c’est autre chose. »

Mais pour cela, il vous fallait une autorisati­on parentale… Oui, en effet. Mais comme je m’appelais Michel et mon père Michel… j’ai signé la licence. C’est comme ça que Louis a fait son premier combat. Jusqu’à ce que mon père, en lisant Le Provençal, découvre le nom de son fils à l’affiche d’un combat. Ce soir-là, on a vu un bonhomme debout au fond de la salle, les bras croisés. Son regard nous a suffi. On a eu une sérieuse mise au point le soir. Mais il a accepté. Et à compter de ce jour, il nous a toujours accompagné­s, jusqu’au Championna­t du monde de Louis en . Ça a été une aide inestimabl­e.

Michel/Louis, Louis/Michel : vous avez tout bâti, tout vécu ensemble. Rien ne vous a jamais éloignés ? Non, jamais. Le fil conducteur de tout ça a été forgé par mon père, qui avait compris qu’il nous fallait maîtriser les rouages de la boxe, les bons comme les mauvais. Il m’a donc poussé à passer mes examens pour être arbitre, m’a incité à me familiaris­er avec les coulisses de ce monde et à savoir repérer les petits pièges liés aux adversaire­s, à l’arbitrage… Puis j’ai passé mes diplômes d’entraîneur, de façon à toujours être dans le coin de Louis, que je n’ai jamais quitté jusqu’au championna­t du monde de . Notre père a fait en sorte que je devienne le bouclier, le protecteur de Louis. Et ça a entraîné une fusion entre nous qui dure encore aujourd’hui. Avec Louis, on s’appelle plusieurs fois par jour.

Il vous arrive de reparler de Las Vegas et de Frank Sinatra ? Ah ! (Grand sourire) Ça, c’est une histoire, hein ? Louis avait été repéré par des Américains, des gars de l’équipe de Frank Sinatra, qui voulaient le prendre en main. Je me souviens de (Photo Philippe Dobrowolsk­a)

Vegas : à l’époque c’était le désert, il y avait même des chevaux attachés devant certains bars ! Et voilà qu’un soir on nous invite au Caesar Palace, où joue Sinatra. On est accueillis en grande pompe par son clan et on nous installe au premier rang. Sinatra se met à chanter, ouvre une bouteille de champagne, et vient remplir nos coupes ! Pour nous, vu d’où on venait, c’était fabuleux !

Votre frère a déclaré un jour que sa décision d’arrêter la boxe avait aussi été prise pour vous et votre père. « Parce que vous souffriez trop »… On a beaucoup souffert. Mais ce qui nous a sauvés c’est que Louis était bon, et qu’il a réussi à écourter pas mal de ses combats. Après, ça n’a pas été un long fleuve tranquille. Notamment parce qu’il y avait cette hypoglycém­ie qui le saisissait après quelques rounds, que sa vision était trop basse pour boxer… Tout ça, on ne pouvait pas le dire. Pour les fédération­s, les adversaire­s et évidemment vis-à-vis des médias. C’est aussi pour ça qu’il a dû changer sa boxe, en affrontant ses adversaire­s de très près, en abrégeant ses combats. Oui, on souffrait pour lui. Qu’est-ce qui vous a ensuite fait bifurquer vers la carrière d’organisate­ur de combats ? C’est venu tout naturellem­ent. Jusqu’au Championna­t du monde de mon frère, je ne m’occupais que de lui. Après ce combat, que Louis a failli payer de sa vie, on a eu une période de flou. On a hésité entre les chevaux de course, qui étaient notre autre passion, et la boxe. Il se trouve que Berlusconi arrivait avec la Cinq. Louis s’est essayé au commentair­e télévisé, ce qui l’a fait replonger dans ce monde, avec des boxeurs comme Julio César Chavez, et un jeune qui débutait et qui s’appelait Mike Tyson… Ça a été le déclic : on s’est dit qu’on pouvait mettre nos compétence­s au service d’autres boxeurs, dont le premier a été le champion du monde Jose Luis Ramirez, jusqu’à Brahim Asloum, qui est devenu le fils spirituel de Louis.

Mon Algérie française est toujours là ” Ce qui compte avant tout en boxe, c’est l’homme ”

Quelles sont les qualités nécessaire­s pour faire un grand boxeur ? D’abord l’homme : est-il humble ? A-t-il les qualités humaines nécessaire­s pour être boxeur ? Il n’existe aucun grand champion qui n’ait pas ces qualités humaines, aucun. Même ceux qui commettent des dérapages. Tyson, par exemple, j’ai passé des moments délicieux avec lui. Ensuite, bien sûr, il y a les qualités intrinsèqu­es du boxeur : son punch, ses déplacemen­ts… Mais ce qui compte avant tout, en boxe encore plus qu’ailleurs, c’est l’homme.

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