Monaco-Matin

« On s’acharne contre moi »

BERNARD TAPIE : L’INTERVIEW CASH

- ENTRETIEN RÉALISÉ PAR DENIS CARREAUX dcarreaux@nicematin.fr

L’homme d’affaires, qui lutte contre un double cancer, raconte son combat contre la maladie. Il met en cause le ministre de l’économie Bruno Le Maire qu’il accuse d’« accélérer les processus illégaux » contre lui.

Samedi, 11 heures. Bernard Tapie décroche. Un grand blanc, puis une voix faiblarde. Lasse. « J’ai passé une nuit compliquée. Ma femme m’a conduit aux urgences à minuit. J’étais en train de faire un blocage, on a dû me poser une sonde. » Pas question pour autant de différer l’interview. Quelques minutes suffisent pour que Bernard Tapie soit dans le match. Les affaires? L’acharnemen­t? Les «merde» et les «putain» commencent à fuser. Nanard est de retour. «Continuez. Ça me fait du bien de parler. » Les réponses sont percutante­s, franches et pesées. Après un week-end de repos, ce sera à nouveau la chimio, dès aujourd’hui. Comme toujours, Bernard Tapie compte bien avoir le dernier mot.

Jeudi, vous étiez en Une de La Provence avec ce titre « Oui, j’y crois » au sujet de la demi-finale de l’OM. Peut-on l’interpréte­r aussi par rapport à votre combat contre la maladie ? Je laisse aux journalist­es la responsabi­lité de leurs titres, mais celui-là me va bien. Même si j’ai plein de raisons de ne pas y croire, j’y crois quand même. Ce n’est pas de la méthode Coué, ce n’est pas vraiment mon genre. Je crois à Dieu, mais pas au père Noël.

Que traduit votre présence régulière dans les médias ces derniers temps ? Les médias, tous confondus, ont bien entendu une priorité, celle d’informer leurs lecteurs ou leurs auditeurs des choses qui les intéressen­t. Et il est clair que depuis ma maladie, j’ai fait naître, non seulement auprès des malades mais aussi de leur entourage, des questions et des raisons d’espérer. J’ai, à leurs yeux, une légitimité pour partager mon expérience et en parler. Imaginez si j’avais fait la même émission avec Laurent Delahousse sans être malade moi-même… On laisse les malades complèteme­nt absents de tout, vous n’imaginez pas ! Les personnels soignants sont complèteme­nt débordés. Une fois qu’ils ont eu leur traitement, les malades se retrouvent seuls face à leurs inquiétude­s. La parole de quelqu’un qui est dans leur situation a plus de valeur. Je sens, plus que tout autre, ce qu’il faut leur dire, en mon âme et conscience.

Vous recevez énormément de marques de soutien. C’est important dans l’épreuve personnell­e que vous traversez ? Les marques d’estime et d’amour sont très utiles dans le processus d’une maladie.

Ce combat, à mon âge, je n’aurais pas forcément envie de le mener, car il est vraiment très dur, mais quand on sent qu’il a une importance pour les autres, votre famille, vos amis, et pas seulement pour vous, vous le menez sans retenue. Sur le plan médical, tous les médecins qui sont au contact de cette maladie vous diront que la condition physique est aussi primordial­e. Les effets secondaire­s et les répétition­s d’interventi­ons, c’est ça qui vous crève. Si, en plus, vous n’êtes pas physiqueme­nt entretenu et ne faites pas vousmême les efforts que sollicite votre corps, la maladie prend le dessus. Sinon, c’est vous qui prenez le dessus.

Vous avez, aujourd’hui, le sentiment de commencer à prendre le dessus sur la maladie? Non, je ne suis pas dans cette phase-là. Je suis encore en traitement de chimio, je n’ai pas les résultats définitifs des examens postopérat­oires et postchimio. Pour dire la vérité, je saurai ça fin juin. C’est à ce moment-là que j’aurai une vraie idée de la réalité. En attendant, je fais front, comme tout le monde. Lundi [aujourd’hui, Ndlr], je vais faire ma séance de chimio avec les autres. On est tous ensemble. Je peux vous dire que je ne suis pas le seul courageux sur la Terre ! Je pense en particulie­r à ce jeune

homme de trente ans avec une famille de trois enfants qui est atteint d’une tumeur au cerveau, et à une maman de  ans qui en est à sa quatrième année de traitement pour un cancer du sein qui ne guérit pas. C’est épouvantab­le. Mais ils se battent quand même.

Vous n’avez pas été épargné par les critiques et les attaques pendant des années. Depuis que vous avez révélé votre maladie, on sent davantage de bienveilla­nce… Détrompez-vous ! Le ministre des Finances, pourtant très au courant de la situation dans laquelle je suis, est parfaiteme­nt lucide quant aux conséquenc­es que cela a sur ma maladie. Il ne me lâche pas ! Pas un jour ! Il a même laissé le CDR () placé sous ses ordres tenter de me mettre en liquidatio­n des biens alors que ça n’était pas recevable. Il a laissé insulter le tribunal qui avait refusé ma liquidatio­n. C’est ça, la vérité. Je suis surpris que le Premier ministre ou le président de la République puissent le laisser faire, car je peux vous affirmer que personne n’est dupe de cet acharnemen­t. On me laisse crever en accélérant des processus illégaux contre moi et contre-productifs pour l’intérêt de l’État, ce que la cour d’appel a souligné dans une première décision. Il n’y a pas que la France et la justice française. La justice belge veut vous dessaisir de la gestion de vos sociétés dans le pays… Le groupe BT Finance, dont j’étais propriétai­re, a eu jusqu’à   employés avec des filiales dans le monde entier. Certaines existent encore, mais qu’elles soient au Luxembourg, en Angleterre, en Belgique ou à Hong Kong, aucune n’est offshore. Elles appartienn­ent toutes officielle­ment à Bernard Tapie ou au groupe Bernard Tapie. C’est assez rare pour que j’aie envie de le souligner. Or, la gestion de tous ces actifs-là est confiée à la justice française, qui ne se laissera pas dessaisir de quoi que ce soit par qui que ce soit. Tout ça, c’est du cinéma intégral. Ce qui n’est pas du cinéma, c’est l’angoisse que ça génère.

Est-ce que la maladie vous fait prendre du recul par rapport à cette situation ? Vous ne vous pouvez pas vous défaire de cette situation, même si ce que cela crée sur moi n’est pas le plus important. Je préférerai­s être guéri et retourner à la case départ – ce qui, entre nous, ne se produira pas, compte tenu des propositio­ns absolument incroyable­s que je reçois de la part de plusieurs personnali­tés de haut niveau du business et de l’économie, qui savent que je n’ai rien perdu de mon savoir-faire. Vous savez, un pianiste, si vous lui prenez ses enregistre­ments et que vous ne lui coupez pas les mains, il refait ses disques…

Je préférerai­s être guéri et retourner à la case départ ”

Macron est en train de nous donner une leçon ”

Vous avez expliqué il y a quelques jours que vous comptiez remonter sur scène. Vous allez vraiment le faire ? C’est Johnny Hallyday qui m’a montré la voie avec la tournée des Vieilles canailles.

Quand vous avez un impératif qui dépasse votre volonté, vous ne risquez pas le coup de mou qui vous fait abandonner. Il n’y a pas de surhomme. Je subis parfois des coups de pompe. Or, remonter sur scène, avec tout ce que ça comporte, me permettra de tenir le coup. Comme tous les acteurs, il m’est arrivé de jouer avec °C de fièvre, sous cortisone ou antibiotiq­ues. Et puis, franchemen­t, comment faire pour rencontrer les gens qui vous témoignent autant d’amour ? Être sur scène, c’est leur donner rendez-vous.

Vous avez déjà des propositio­ns ? Oui, et j’espère être à la hauteur de ce que l’on me propose. Vous vous souvenez, quand les Américains m’ont proposé de faire Vol au-dessus d’un nid de coucou pour remplacer Jack Nicholson, alors que je n’avais jamais fait de théâtre ? Peu de gens croyaient que j’allais y arriver. Les propositio­ns que j’ai me foutent un peu la trouille car ce sont des projets encore plus difficiles.

Vous qui avez animé l’émission Ambitions sur TF déplorez aujourd’hui le manque d’ambition de la France… C’est pire que ça. Le mot « ambition » est devenu carrément un gros mot. Il faut oublier l’associatio­n de l’ambition et du fric. On peut être ambitieux quand on est manoeuvre pour devenir contremaît­re, quand on est chercheur pour trouver le vaccin contre le cancer ou quand on est écrivain pour décrocher le prix Nobel. L’ambition, c’est cette énergie supplément­aire qui vous donne envie de vous améliorer, quel que soit votre domaine profession­nel ou personnel. Sur ce plan-là, Macron est en train de nous donner une belle leçon. Je ne sais pas si tout va marcher, mais il essaye, il donne, il veut. Le pays doit changer de mentalité. Il faut en finir. On était un pays ambitieux, créatif. Rappelez-vous, on a tout inventé : la voiture, le frigidaire, l’avion, même le Club Méditerran­ée qui était le symbole du vivre heureux ensemble. J’ai de l’espoir. Grâce aux nouvelles technologi­es, la France est deuxième derrière les États-Unis sur le nombre de créations de start-up très pointues. Ce qui est dommage, c’est que  % d’entre elles s’expatrient, non pas pour quitter la France, mais pour trouver les financemen­ts nécessaire­s. Heureuseme­nt, quelques chefs d’entreprise comme Xavier Niel et beaucoup d’autres ont senti ce danger, et permettent par la création d’incubateur­s à ces jeunes talents de rester ici. Que vous inspire le retour de François Hollande ? [Long soupir…] De  à , quel que soit le régime, de gauche ou de droite ; le Premier ministre, de Jospin à Raffarin, nous avons gagné toutes les procédures. Toutes. Contre le Crédit lyonnais. Au tribunal de commerce, à la cour d’appel, au Conseil d’État, au tribunal administra­tif. À partir de , on les a toutes perdues. Il s’est vengé de la campagne que j’ai menée contre lui à la présidenti­elle de . Et quand on voit le résultat, personne ne peut vraiment me donner tort... Je tiens à préciser qu’entre  et , sous M. Balladur, les mêmes manipulati­ons ont eu lieu de manière à ce que leur copain Jean-Claude Gaudin puisse être élu maire de Marseille, alors que j’étais donné ultra-favori avant d’être rendu inéligible par le président du tribunal de commerce de Paris qui, deux mois après, fut récompensé en étant nommé président du CDR. Quand je vous dis que la justice et le politique ont de tout temps et de toutes couleurs fait bon ménage… Dieu merci, il y a toujours un moment, et ce moment-là a existé à l’époque de M. Balladur comme de M. Hollande, où vous tombez sur des magistrats qui disent : « Stop, le droit, rien que le droit ! »

Bernard Tapie, où avez-vous envie d’être dans un an? J’ai envie de ne plus être en chimio. J’ai envie que La Provence, qui s’est redressée de manière spectacula­ire, passe demain à  % de chiffre d’affaires sur du hors-média. J’ai envie de dire que dans un an, quand je serai en tournée, je serai ravi de passer par Nice avec mon spectacle, et j’espère que vous accepterez mon invitation ! 1. Le Consortium de réalisatio­n (CDR) est l’entité créée pour gérer le passif du Crédit lyonnais. (Photo Christophe Hatilip)

Hollande s’est vengé de la campagne que j’ai menée contre lui ”

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(Photo Christophe Hatilip) Bernard Tapie suit une chimiothér­apie. « Je ne suis pas le seul courageux sur la Terre ! », salue l’homme d’affaires.
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Bernard Tapie, ici chez lui à Paris, rêve de découvrir le nouveau Vélodrome.

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