Monaco-Matin

Daniel Morin: «La tendresse et le rire suffisent souvent»

L’humoriste, qui oeuvre depuis 15 ans sur France Inter, s’inscrit contre la méchanceté gratuite et fustige réseaux sociaux et chaînes d’info en continu, « sources inépuisabl­es de connerie »

- PROPOS RECUEILLIS PAR PHILIPPE MINARD/ALP

C’est l’un des piliers de l’humour sur France Inter. Daniel Morin est un faux méchant qui déteste les donneurs de leçon. Déprimé par le contenu des réseaux sociaux et des chaînes d’info en continu, il ne dédaigne pas se nourrir de cette «vacuité» pour mieux en rire.

Bientôt  ans de France Inter… Vous êtes devenu un fonctionna­ire du rire ? Je suis entouré de fonctionna­ires, mais je n’ai pas le statut ! En réfléchiss­ant, je pense que la régularité des chroniques qui tombent tous les jours fait que je suis plus un tâcheron qu’un fonctionna­ire. J’ai beaucoup moins de facilité, car il faut bien sûr s’efforcer de ne pas être répétitif. Après, il y a un style qui fait que l’on retrouve une certaine logique dans les papiers.

C’est quoi, le style Daniel Morin ? C’est de prendre de la distance et, surtout, ne pas profiter de l’antenne pour donner une leçon en quoi que ce soit. Je ne suis détenteur de rien du tout, même pas de moi-même. Quand je parle par exemple de la réintroduc­tion des ours dans les Pyrénées, je me mets à la place des ours qui vont être emmerdés par les abrutis qui voudront les admirer et les prendre en photo, et ceux qui vont leur tirer dessus. Il y a tellement de gens qui donnent leur avis, en particulie­r sur les réseaux sociaux, alors qu’on ne leur demande pas !

C’est très à la mode chez les humoristes en général et ceux de France Inter en particulie­r… C’est une tendance qui consiste, avant de dire ce qu’on aime, à dire surtout ce qu’on n’aime pas. C’est plus facile, et le pire – comme pour les chaînes d’info en continu – c’est qu’il y a des clients pour ça. Reste que se payer un invité tous les jours, ce n’est pas facile. Personnell­ement, j’essaie de rester ironique, de montrer leurs incohérenc­es, mais je ne vais pas essayer de coincer l’invité et d’être méchant. La tendresse et le rire sont souvent largement suffisants. Le fion pour le fion, ce n’est pas mon truc. Vous savez, je suis un amour ! Vous ne comprenez pas les réseaux sociaux et les chaînes d’info ? Cela me sert profession­nellement dans mon décalage. Les réseaux sociaux et les chaînes d’info, j’ai parfois la sensation que c’est une source inépuisabl­e de connerie. Garder l’antenne pendant des heures quand on n’a rien à dire… Cela devient, pour certains, un talent. C’est d’une vacuité sans nom ! Et puis nous avons les spécialist­es du « tout », qui intervienn­ent pour parler de l’équipe de France de foot ou de l’hommage rendu au gendarme Beltrame. Le plus triste, c’est que cela marche. Le seul moment que j’aimerais passer avec eux, ce serait pour leur dire : « Tu sais quoi ? Ce que tu penses, on s’en fout ! »

On a parfois le sentiment que les Belges ont pris le pouvoir du rire à France Inter ? On a découvert que le travail des humoristes belges était plus basé sur l’absurde, avec plus de recul, plus de distance et d’autodérisi­on. Aujourd’hui, leur synergie a fait leur force et ils se sont trouvé des combats. Je pense qu’ils ont été « contaminés » par Guillaume Meurice (rires) .Ilyabiensû­r des chroniqueu­rs et des humoristes très impliqués politiquem­ent. Charline Vanhoenack­er estime qu’elle est toujours journalist­e. Elle est sûrement en mission… Pour qui ? Elle seule le sait ! Quant à Meurice, son humour ne me dérange pas parce qu’il y croit vraiment. C’est un militant, très à gauche, végétarien, etc. Et puis quand ça me saoule, j’éteins la radio.

Dans votre univers, il est rare que l’on passe  ans sur la même antenne. France Inter est-elle une si bonne maison ? Oui je la trouve bonne, excellente même. Je trouve qu’il y a une exigence au niveau des contenus, notamment dans l’humour, que ce soit de l’humour léger ou de l’humour engagé. Il y a une remarquabl­e curiosité à l’antenne et une tolérance plus grande qu’on pourrait le croire, éloignée de l’idée « radio militante », radio de gauche parisienne, radio de bobos. Vous avez toujours travaillé au sein d’une bande (avec Stéphane Bern, Isabelle Giordano, Frédéric Lopez et maintenant Nagui). Pas envie d’être seul aux commandes ? J’y suis le dimanche et j’aime bien l’exercice, car j’ai la main sur les invités et que je suis avec Albert Algoud, avec qui je suis très complice. On a le temps de s’installer avec les gens qu’on a envie d’avoir. C’est un luxe. Mais je me sens bien dans les rendezvous et dans le rythme de la semaine. Le matin à  h , je peux dire des idioties ou des absurdités sur l’actualité récente et en fin de matinée, je me retrouve avec un écrivain ou un chanteur, à désamorcer une promo ou à parler de tout autre chose si l’invité ne m’inspire pas.

Vous n’avez jamais eu l’envie d’être seul en scène ? Non. On en voit trop qui trimballen­t le même spectacle depuis cinq ans, à tel point que c’est de l’abattage ! Il y a  spectacles d’humoristes tous les soirs à Paris ! Je n’ai pas l’idée originale pour faire ça. Je suis davantage sur l’idée d’écrire un bouquin. Mais un jour, si j’ai l’idée pour faire un spectacle, je foncerai.

Àl’ Olympia, quand on est chanteur, il y a les fantômes de Brel ou de Piaf. À France Inter, y a-t-il pour vous un fantôme Desproges ? Oui clairement, il y a un fantôme Desproges. C’est une pression. Il y avait une telle qualité, une telle exigence, que ça oblige. On peut qualifier le style de Desproges d’audacieux, mais je considère que c’est le style choisi qui pousse à une audace de circonstan­ce. Desproges était plus dans l’absurdité avec, pour la souligner, des propos parfois un peu violents. Ça nous oblige tous, même si de temps en temps nous ne sommes pas à l’abri d’une petite éclaboussu­re de médiocrité. Je parle de moi, bien sûr. C’est complèteme­nt faux ! On peut tout dire, la différence c’est qu’il y a aujourd’hui des relais pour pouvoir exprimer son indignatio­n. Quand on voit au final les mobilisati­ons d’indignés, cela remet tout à plat. Récemment j’ai eu les cathos sur le dos – sous forme de pétition avec   signatures – à la suite d’une chronique sur la guérison miraculeus­e. Le plus gênant, ce sont les réflexes de délation avec les lettres envoyées en copie à la direction, où l’on prend soin d’ajouter : « C’est un scandale, il est payé avec nos impôts ! » Il est clair que c’est la religion qui excite le plus aujourd’hui.

Et vous, qui vous fait rire ? En fait, pas grand monde. Je vois trop les ficelles. Je trouve par exemple navrantes et stupides les blagues sur la différence d’âge du couple Macron. Même chez nous, certains l’on fait… Le spectacle d’Alex Vizorek, qui parle d’art, est vraiment intéressan­t, différent. Mais la vraie audace pour moi consiste à choisir des angles improbable­s. J’aime aussi l’écriture de Tanguy Pastureau, avec ses comparaiso­ns absurdes. Dieudonné m’a fait beaucoup rire en son temps ! J’aimerais tellement qu’un jour il arrive dans une émission et dise : « Bon, allez, j’arrête les conneries, je me suis pris les pieds dans le tapis ! »

Je suis plus un tâcheron qu’un fonctionna­ire ” Le plus gênant ce sont les réflexes de délation ”

1.Chroniquet­ouslesmati­nsà6h57pou­rlancer la matinale et tous les jours entre 11 heures et 12h30 dans La Bande originale de Nagui. 2. Vous les femmes. Tous les dimanches à 17 heures.

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Il est fréquent d’entendre « Ça, on ne pourrait plus le dire aujourd’hui ». Cela vous inspire quoi ?

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