Pour sauver la cuisine niçoise
Chefs et passionnés de cuisine mijotent depuis deux ans le dossier d’inscription de la cuisine nissarde à l’Unesco. Le jeudi 17 mai, à Paris, se jouera la «mise en bouche». Les artisans de cette candidature nous dévoilent, dans le Vieux-Nice, leur stratég
Tous les jours les plats niçois sont malmenés. Il y a des milliers de cas dans le monde mais aussi à Nice, pointe Laurence Duperthuy, cofondatrice de la toute jeune association pour le classement de la cuisine niçoise au patrimoine mondial de l’Unesco. Et ça nous blesse.» Le dernier sacrilège en date : un pan-bagnat «poulet miel». Servi à l’aéroport de Nice, il a provoqué des turbulences ! C’est à ce massacre qu’une poignée de passionnés a décidé de mettre un terme. Plus question de laisser un grain de riz ou une patate gâcher la salade niçoise. Ou encore des tomates cerise dénaturer une pissaladière.
Classer pour protéger et transmettre
Ils ont décidé d’unir leurs forces pour obtenir l’inscription de la gastronomie «nissarde» au patrimoine culturel immatériel mondial de l’humanité. Classer pour protéger mais aussi pour transmettre. «C’est Franck Bermond, chef et professeur de cuisine qui a lancé l’idée», rappelle Laurence Duperthuy. Cette fille de restaurateurs qui donne des cours de cuisine et partage sa passion sur son joli blog «Variations gourmandes» n’a pas tardé à rejoindre l’aventure au côté d’autres bénévoles motivés Après deux années de travail, ces toqués de gastronomie passent aujourd’hui à l’offensive. Jeudi 17 mai, ils seront à Paris où se joue la première bataille. «On a rendezvous au ministère de la Culture pour présenter notre candidature, annonce le Gaudois, Alex Benvenuto, vice-président de l’association. Mais avant d’être éligible, c’est un processus long, qui prendra 4 à 5 ans.» Qu’importe : pour préserver ce patrimoine culinaire millénaire, ils sont prêts à s’inscrire dans le temps. «La cuisine niçoise fait partie intégrante d’une identité, au même titre que la langue, l’histoire. Nous voulons la transmettre aux jeunes générations. Faire rayonner cette cuisine unique en France. C’est la seule à proposer un repas complet de l’entrée au dessert, différent à chaque saison.» Dans les cuisines d’un restaurant du Vieux-Nice, Laurence Duperthuy et Alex Benvenuto nous ont dévoilé leur stratégie.
Riche de plus de plats connus et oubliés
Ce sera LA référence : un livre de 200 recettes du pays niçois et gavot. Cet ouvrage copieux composé de plats emblématiques et d’autres oubliés mettra en avant la richesse de la cuisine niçoise. Et elle ne se résume pas à une quinzaine de stars comme la pissaladière, la salade niçoise, le pan-bagnat, les beignets de fleurs de courgettes, la soupe au pistou, la trucha, les raviolis, les panisses, la ratatouille, la bagna cauda, la daube, etc. L’ouvrage intitulé Carnets de cuisine de Nice et du pays gavot sort ce mois-ci. À temps pour mettre en appétit ceux qui, au ministère de la Culture, choisiront de sélectionner le dossier niçois. Alex Benvenuto, historien et amateur de cuisine, mijote ce livre depuis plus de trois décennies. À feu doux. «J’ai récupéré des ouvrages mais aussi des recettes de familles qui se transmettent de génération en génération.» Comme celles héritées de son grand-père. «Lorsque je lui demandais le secret des proportions de ses plats merveilleux, il me répondait le plus souvent, “tu en mets un peu” ,ou encore, “n’en sabi ren, je n’en sais rien”, raconte-t-il. On s’accorde souvent autour d’une recette mais on détient rarement la “vraie” recette.» Entouré d’experts il s’est mis à table. Les discussions ont été animées pour tomber d’accord sur les «fondamentaux» des plats emblématiques et ceux moins connus. Avec Laurence Duperthuy, Franck Bermond et les membres du label de la cuisine niçoise, ils ont testé chacune des 200 recettes de ce riche patrimoine gastronomique.
Faire respecter les fondamentaux...
Pour éviter le massacre, il va aussi falloir rectifier le tir. En commençant par les écoles hôtelières. Car c’est là que les futurs chefs apprennent à composer des salades niçoises… aux pommes de terre et haricots verts ! La faute à Auguste Escoffier. C’est ce pape de la cuisine française et écrivain culinaire qui a eu l’idée sacrilège, à la fin du XIXe siècle, d’ajouter à la salade niçoise ces ingrédients cuits.