Ils font parler les traces Actu
« Les experts passent aux aveux » : c’est le thème de la conférence qu’animera le patron du laboratoire de la police scientifique de Marseille, au bénéfice des enfants autistes
Comment s’inclut la PTS (Police technique et scientifique) au coeur de l’enquête et du procès pénal ? Qui fait les prélèvements sur le terrain, sur la scène de crime ? Qui fait les analyses, comment se font les analyses et à quoi servent-elles ? Quels sont les experts qui vont à la barre pour défendre les analyses ? Bruno Sera, directeur du Laboratoire de la police scientifique de Marseille, a accepté, pour cette belle cause que représente le combat contre l’autisme, de présenter au public les méthodes du XXIe siècle pour soutenir les enquêtes de police. Il retracera aussi l’historique de la police scientifique, où en estelle aujourd’hui, ses grands projets innovants, où en sont les fichiers de police alimentés notamment par l’analyse des traces en laboratoire… Rencontre.
Quel est le plus grand cliché associé à la police scientifique ? C’est cette idée – que l’on doit aux séries TV – selon laquelle le policier scientifique mène aussi l’enquête et coffre le malfrat. En réalité, les choses sont bien compartimentées : le policier fait de la police judiciaire et le policier scientifique prélève et fait parler les traces. On ne peut faire à la fois une enquête de police et de la police scientifique, comme c’était le cas jusqu’en .
Qu’est ce qui a changé ? Jusqu’en , la police scientifique était très discrète, on ne faisait pas beaucoup appel à elle. Les quelques prélèvements (traces papillaires, etc.) sur les scènes de crime et d’infraction étaient réalisés par des policiers de terrain, polyvalents. Et puis, il y a eu l’essor des technologies et l’avènement de la biologie génétique, la police scientifique a passé un cap : on a compris qu’il s’agissait d’une filière à part entière, et qu’il fallait que les personnes soient vraiment spécialisées… Aujourd’hui ce sont des policiers scientifiques de terrain et en laboratoire, formés à la chimie, la biologie ou encore l’informatique, qui font les prélèvements et les analysent.
Avec cet essor, l’afflux de données doit exploser ! Si on a davantage de données à traiter, c’est aussi parce que l’on est confronté à une population croissante et une délinquance qui progresse aussi. Mais il est exact que l’avènement de la police scientifique a fait progresser les données, les scellés et les actes Le laboratoire de Marseille reçoit chaque mois affaires, toutes disciplines confondues. Des affaires de terrorisme, de règlements de compte, de viols... personnes, dont deux tiers de policiers scientifiques (ingénieurs techniciens, agents spécialisés) y travaillent aux côtés de qualiticiens, informaticiens, administratifs, etc. (Photo D. L.)
scientifiques ; elle intervient désormais sur toutes les scènes de la délinquance, depuis celles du quotidien aux crimes les plus sordides et sanglants. Il est nécessaire de faire évoluer les moyens humains et matériels.
N’existe-t-il pas d’automates ? Certains processus sont automatisés. Mais, pour toutes les situations complexes (règlements de compte, viols, affaires graves et difficiles…), lorsqu’il y a des objets à analyser, des draps, des vêtements, que plusieurs armes ont été utilisées, qu’il y a du sang partout, c’est du « temps homme » qui est nécessaire.
La police scientifique n’est-elle pas trop souvent sollicitée ? Non, et la demande pourrait être encore plus importante qu’aujourd’hui. Certains services ne peuvent aujourd’hui couvrir la totalité des scènes d’infraction, comme les cambriolages dans les grandes métropoles. Ce qui est important c’est de faire encore mieux grâce à la filière PTS qui peut prélever de façon
pertinente et analyser de façon rationnelle.
Quelles sont les grandes révolutions à attendre ? La grande révolution structurelle va être liée à la sécurité routière et au prélèvement salivaire. Lorsqu’on est contrôlé par les autorités sur la route, avant on faisait un prélèvement sanguin pour rechercher les psychotropes. Depuis le décret de , mis en application en , on réalise des prélèvements salivaires. Grâce à un écouvillon, on recueille très rapidement la salive et on vérifie en moins de minutes si la personne a fumé du cannabis, a pris de la cocaïne, est sous héroïne, etc.
La toxicologie prend-elle le pas sur la génétique ?
Non ; simplement, la génétique est rentrée dans les moeurs. Plus personne n’est surpris en entendant parler d’ADN. Mais la génétique n’est pas du tout ringardisée. On continue de faire de grands progrès dans ce domaine. Je pense notamment au portrait-robot génétique ; à partir d’une trace, on est déjà capable de donner avec des calculs de probabilité, la couleur des cheveux de la personne qui a déposé cette trace, la couleur de ses yeux… En bref, on est capable de fournir au policier ou au magistrat une indication de l’apparence physique de cette personne.
Que pensez-vous de cet engouement pour la police scientifique ? Elle suscite effectivement des vocations. On reçoit beaucoup de jeunes sous influence des gros clichés : des flics sans blouse, flingues à la ceinture, qui quittent leurs éprouvettes pour monter dans une Cadillac et serrer un bandit… La réalité du laboratoire, ça n’est pas vraiment ça. On peut rester des heures entières derrière une paillasse à réaliser des prélèvements sur une couette, à la recherche de sperme ou de sang… Mais l’enthousiasme généralement ne faiblit pas lorsqu’ils découvrent tout ce que l’on peut faire pour faire parler les taches. Alors, oui, cet engouement, c’est bien. Mais, il faudrait que la PTS en profite davantage ; qu’on lui donne la place qui est la sienne, c’est-à-dire une filière à part entière. C’est ce qui commence à se passer : le gouvernement actuel a compris que l’on était un peu en retard et que le XXIe siècle, en termes judiciaires devait donner toute sa place à la PTS. C’est un maillon essentiel. Le commissaire Maigret et le lieutenant Colombo qui mènent l’enquête de A jusqu’à Z tout seuls, ce n’est plus possible.
Le futur de la police scientifique ? C’est à la lumière de grandes affaires criminelles – comme cela fut le cas de l’affaire Grégory– que l’on jugera de la route qu’il reste à faire en matière de police technique.