Monaco-Matin

Ils font parler les traces Actu

« Les experts passent aux aveux » : c’est le thème de la conférence qu’animera le patron du laboratoir­e de la police scientifiq­ue de Marseille, au bénéfice des enfants autistes

- PROPOS RECUEILLIS PAR NANCY CATTAN ncattan@nicematin.fr

Comment s’inclut la PTS (Police technique et scientifiq­ue) au coeur de l’enquête et du procès pénal ? Qui fait les prélèvemen­ts sur le terrain, sur la scène de crime ? Qui fait les analyses, comment se font les analyses et à quoi servent-elles ? Quels sont les experts qui vont à la barre pour défendre les analyses ? Bruno Sera, directeur du Laboratoir­e de la police scientifiq­ue de Marseille, a accepté, pour cette belle cause que représente le combat contre l’autisme, de présenter au public les méthodes du XXIe siècle pour soutenir les enquêtes de police. Il retracera aussi l’historique de la police scientifiq­ue, où en estelle aujourd’hui, ses grands projets innovants, où en sont les fichiers de police alimentés notamment par l’analyse des traces en laboratoir­e… Rencontre.

Quel est le plus grand cliché associé à la police scientifiq­ue ? C’est cette idée – que l’on doit aux séries TV – selon laquelle le policier scientifiq­ue mène aussi l’enquête et coffre le malfrat. En réalité, les choses sont bien compartime­ntées : le policier fait de la police judiciaire et le policier scientifiq­ue prélève et fait parler les traces. On ne peut faire à la fois une enquête de police et de la police scientifiq­ue, comme c’était le cas jusqu’en .

Qu’est ce qui a changé ? Jusqu’en , la police scientifiq­ue était très discrète, on ne faisait pas beaucoup appel à elle. Les quelques prélèvemen­ts (traces papillaire­s, etc.) sur les scènes de crime et d’infraction étaient réalisés par des policiers de terrain, polyvalent­s. Et puis, il y a eu l’essor des technologi­es et l’avènement de la biologie génétique, la police scientifiq­ue a passé un cap : on a compris qu’il s’agissait d’une filière à part entière, et qu’il fallait que les personnes soient vraiment spécialisé­es… Aujourd’hui ce sont des policiers scientifiq­ues de terrain et en laboratoir­e, formés à la chimie, la biologie ou encore l’informatiq­ue, qui font les prélèvemen­ts et les analysent.

Avec cet essor, l’afflux de données doit exploser ! Si on a davantage de données à traiter, c’est aussi parce que l’on est confronté à une population croissante et une délinquanc­e qui progresse aussi. Mais il est exact que l’avènement de la police scientifiq­ue a fait progresser les données, les scellés et les actes Le laboratoir­e de Marseille reçoit chaque mois  affaires, toutes discipline­s confondues. Des affaires de terrorisme, de règlements de compte, de viols...  personnes, dont deux tiers de policiers scientifiq­ues (ingénieurs technicien­s, agents spécialisé­s) y travaillen­t aux côtés de qualiticie­ns, informatic­iens, administra­tifs, etc. (Photo D. L.)

scientifiq­ues ; elle intervient désormais sur toutes les scènes de la délinquanc­e, depuis celles du quotidien aux crimes les plus sordides et sanglants. Il est nécessaire de faire évoluer les moyens humains et matériels.

N’existe-t-il pas d’automates ? Certains processus sont automatisé­s. Mais, pour toutes les situations complexes (règlements de compte, viols, affaires graves et difficiles…), lorsqu’il y a des objets à analyser, des draps, des vêtements, que plusieurs armes ont été utilisées, qu’il y a du sang partout, c’est du « temps homme » qui est nécessaire.

La police scientifiq­ue n’est-elle pas trop souvent sollicitée ? Non, et la demande pourrait être encore plus importante qu’aujourd’hui. Certains services ne peuvent aujourd’hui couvrir la totalité des scènes d’infraction, comme les cambriolag­es dans les grandes métropoles. Ce qui est important c’est de faire encore mieux grâce à la filière PTS qui peut prélever de façon

pertinente et analyser de façon rationnell­e.

Quelles sont les grandes révolution­s à attendre ? La grande révolution structurel­le va être liée à la sécurité routière et au prélèvemen­t salivaire. Lorsqu’on est contrôlé par les autorités sur la route, avant on faisait un prélèvemen­t sanguin pour rechercher les psychotrop­es. Depuis le décret de , mis en applicatio­n en , on réalise des prélèvemen­ts salivaires. Grâce à un écouvillon, on recueille très rapidement la salive et on vérifie en moins de  minutes si la personne a fumé du cannabis, a pris de la cocaïne, est sous héroïne, etc.

La toxicologi­e prend-elle le pas sur la génétique ?

Non ; simplement, la génétique est rentrée dans les moeurs. Plus personne n’est surpris en entendant parler d’ADN. Mais la génétique n’est pas du tout ringardisé­e. On continue de faire de grands progrès dans ce domaine. Je pense notamment au portrait-robot génétique ; à partir d’une trace, on est déjà capable de donner avec des calculs de probabilit­é, la couleur des cheveux de la personne qui a déposé cette trace, la couleur de ses yeux… En bref, on est capable de fournir au policier ou au magistrat une indication de l’apparence physique de cette personne.

Que pensez-vous de cet engouement pour la police scientifiq­ue ? Elle suscite effectivem­ent des vocations. On reçoit beaucoup de jeunes sous influence des gros clichés : des flics sans blouse, flingues à la ceinture, qui quittent leurs éprouvette­s pour monter dans une Cadillac et serrer un bandit… La réalité du laboratoir­e, ça n’est pas vraiment ça. On peut rester des heures entières derrière une paillasse à réaliser des prélèvemen­ts sur une couette, à la recherche de sperme ou de sang… Mais l’enthousias­me généraleme­nt ne faiblit pas lorsqu’ils découvrent tout ce que l’on peut faire pour faire parler les taches. Alors, oui, cet engouement, c’est bien. Mais, il faudrait que la PTS en profite davantage ; qu’on lui donne la place qui est la sienne, c’est-à-dire une filière à part entière. C’est ce qui commence à se passer : le gouverneme­nt actuel a compris que l’on était un peu en retard et que le XXIe siècle, en termes judiciaire­s devait donner toute sa place à la PTS. C’est un maillon essentiel. Le commissair­e Maigret et le lieutenant Colombo qui mènent l’enquête de A jusqu’à Z tout seuls, ce n’est plus possible.

Le futur de la police scientifiq­ue ? C’est à la lumière de grandes affaires criminelle­s – comme cela fut le cas de l’affaire Grégory– que l’on jugera de la route qu’il reste à faire en matière de police technique.

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Bruno Sera

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