Coke en stock : deux Niçoises condamnées
Jusqu’ici, les deux jeunes femmes encaissaient en silence. Fondant en larmes, pour l’une d’elles, en écoutant la poignante détresse de son père à la barre. Se blotissant dans les bras de l’autre, dans le box, quand le procureur requiert à leur encontre trois ans de prison ferme. Mais lorsque tombe la sanction - cinq ans ferme -, les jeunes femmes restent groggy. Les policiers entreprennent de les raccompagner. C’est alors qu’elles laissent éclater leur colère. Traduisant un sentiment de gâchis, de jeunesse foutue en l’air. « Déjà treize mois de prison... Même si c’est une affaire très importante, on la paie très cher ! » L’affaire, effectivement, n’est pas anodine. Le 30 mars 2017, Sabrina Rabu et Ella Orestano, inséparables amies d’enfance, débarquent à l’aéroport de Nice Côte d’Azur en provenance du Brésil. Contrôle douanier. Bonne pioche : leurs valises contiennent respectivement 14,5 kg de cocaïne non coupée, d’une pureté oscillant entre 81 et 86 %. Valeur marchande : un million d’euros !
Dans un bar de Saint-Roch
« Tout ça, c’est Julien... », soupirent-elles aujourd’hui. “Julien”, c’est ce séduisant Franco-Brésilien aux yeux verts, dont elles ont fait connaissance à la terrasse d’un bar du quartier Saint-Roch. Elles rêvent voyages. Il leur parle Brésil. Elles n’ont pas le sou ? Qu’à cela ne tienne : le bel inconnu offre 1600 euros à chacune pour financer ce voyage. « Pourquoi un inconnu vous remettraitil 3200 euros ? », s’étonne la présidente du tribunal, Catherine Bonnici. «Jelui plaisais beaucoup, il m’a plu aussi... Et ça lui faisait plaisir de nous faire visiter le Brésil », assure Sabrina Babu. La présidente, sceptique : « Pourquoi ne vous accompagne-t-il pas, alors ? » Cap sur Sao Paulo, Rio et son carnaval. “Julien” les attend à l’arrivée. Leur confie un téléphone portable. Disparaît. Revient. Et révèle alors un tout autre visage. Pressant, nerveux, il leur demande de transporter de l’argent sur le vol retour, moyennant 5 000 euros. « Il nous a dit qu’on était redevables, justifie Sabrina. Il nous a demandé de sortir de la chambre d’hôtel et a mis l’argent dans la valise. » La présidente : « Pourquoi vous acceptez ? » La prévenue : « Par peur de représailles... » Penaude, Ella bat sa coulpe : «Onestlà pour assumer. On a été naïves, inconscientes... » Naïves, vraiment ? Les magistrats semblent en douter.
« Affaire bien organisée »
Avant d’évoquer “Julien”, les deux amies ont nié en bloc, face à la police judiciaire, assurant que leurs valises avaient été forcées. Il n’en était rien. Tahar, le cousin de Sabrina, a pour sa part échappé de peu à ce procès. Mais (DR) il est tombé dans une affaire similaire : 49 kg de coke saisis à son retour du Maroc. Ce pays, tout comme le Pérou et la Thaïlande, figurait d’ailleurs sur les passeports des Niçoises. Passeports déclarés perdus... mais retrouvés lors des perquisitions. « Nous avons trop d’éléments pour penser que nous avons à faire à de jeunes femmes naïves », assène Alain Octuvon-Bazile. Le procureur évoque «une affaire bien organisée », des mules «qui ont accepté de ramener des stupéfiants en toute connaissance de cause. » Me François Santini, l’avocat d’Ella, estime au contraire qu’ « elles se sont fait piéger, à travers un cloisonnement entre leurs interlocuteurs téléphoniques » .En l’absence des commanditaires, « vous avez les commandités à juger », relativise Me Richard Dixon-Pyné. Le procureur avait requis quatre ans de prison, dont un avec sursis. Le tribunal décide de frapper plus fort, et renvoie les deux Niçoises en prison.