Prothèses PIP : l’avocat général requiert l’annulation de l’arrêt
Hier à Paris, le « défenseur de la loi » à la Cour de cassation a estimé qu’il fallait casser la décision de la cour d’appel d’Aix innocentant le groupe allemand TUV, chargé de certifier les prothèses
Après trois heures d’audience, l’avocat général de la cour de cassation, Jean-Paul Sudre, a requis, hier à Paris, l’annulation de l’arrêt de la cour d’appel d’Aix-en-Provence de juillet 2015 dans l’affaire des prothèses mammaires frauduleuses de la société Poly Implants Prothèses (PIP). Pendant plusieurs années, cette société implantée dans le Var avait rempli ses prothèses mammaires avec un gel frauduleux, aux mépris de toutes règles sanitaires. Quatre cent mille femmes ont été touchées dans le monde (dont 70 000 en France) et 30 000 sont actuellement suivies dont 18 667 ont dû subir une explantation de leur prothèse. Ces prothèses présentent en un risque important de rupture précoce. Le fondateur de la société, Jean-Claude Mas [photo] a été condamné à 4 ans de prison. Lors de ce procès, le groupe allemand Technischer Uberwachungsverein (TUV), certificateur des prothèses PIP, avait été considéré comme une victime du « système Mas », la fraude organisée ne lui ayant pas permis, selon les juges, d’effectuer les contrôles de suivi de la certification. Toutefois, dès 2013, le tribunal de commerce de Toulon avait eu une autre lecture des responsabilités, au moment d’indemniser les victimes. En effet, il avait condamné l’entreprise allemande à verser 3 400 de provisions à chacune des 1 700 victimes plaignantes, soit une somme totale de 5,8 M€.
Victoire en appel
Deux ans, plus tard, TUV a obtenu gain de cause devant la cour d’appel d’Aix-en-Provence. Les magistrats aixois ont, en effet, jugé que TUV avait « respecté les obligations leur incombant en qualité d’organismes certificateurs et n’avaient pas commis de faute engageant leur responsabilité civile délictuelle ». Une déconvenue terrible pour les plaignantes à qui il a été demandé de restituer les 3 400 de provisions… Hier à Paris, à travers sept pourvois, ces femmes irrémédiablement blessées dans leur chair, ont donc contesté la décision de la cour d’appel d’Aix, en tentant de démontrer la responsabilité fautive de la société allemande. En leur nom, Me Pierre Robillot s’est attaché à montrer le manque d’indépendance qui caractérisait la relation entre la société PIP et son certificateur, la première « ayant offert une formation en microbiologie à un salarié du second » et le « second assurant des prestations de formation et de traduction à la première ». Dans le cadre de son suivi de certification, le groupe TUV devait notamment contrôler la qualité des gels utilisés par Poly Implants Prothèses. Or il s’avère qu’en 2004 aucun achat de gel Nusil (le seul habilité, dont la durée de conservation est de 6 mois) n’a été effectué par PIP, alors que sa production augmentait. « S’il avait procédé à des contrôles inopinés, TUV aurait dû à l’évidence relever cette incohérence», note Me Bobillot qui insiste sur la circonstance aggravante constituée par le fait d’une « clientèle captive, les femmes ne choisissant pas leur prothèse ». Son confrère Patrice Spinosi, évoquant « ce désastre sanitaire qui fait que 400 000 femmes vivent avec une bombe à retardement dans le corps » a dénoncé « la complexité de la procédure et les chicanes juridiques dont abuse TUV pour échapper à ses responsabilités ». « Alors je suis votre chicanier ! », a rétorqué Me Bertrand Périer, avocat tonitruant du groupe allemand. Non sans habilité, celui-ci a rappelé lamissiond’unorganismecertifié :certifier,de façon documentaire, le dossier de conception d’un produit ; examiner le système de qualité de la fabrication d’un produit et contrôler le caractère effectif de l’organisation de cette fabrication. « Ce qu’on lui demande c’est de certifier le process de fabrication, pas le produit ! Un organisme certifié n’est ni un assureur ni un gendarme. Il n’a pas de pourvoir de police sanitaire. » Pour Me Périer, TUV ne pouvait déceler « cette fraude sophistiquée et organisée ».
Juge du droit et non du fait
Très posément, l’avocat général a rappelé aux parties que le rôle de la cour de cassation était « d’examiner la régularité juridique de l’arrêt de cour d’appel et non pas les faits ». Après avoir décortiqué et analysés les nombreux moyens soulevés par les sept pourvois, Jean-Paul Sudre a conclu à deux erreurs de la cour d’appel, justifiant la cassation de son arrêt. La première porte sur le fait que plusieurs requérantes n’ont pas justifié du port d’un implant mammaire de la société PIP. Autrement dit, leur intérêt à intervenir dans le dossier est contestable. Enfin, et surtout, le magistrat juge que les magistrats aixois n’ont pas justifié le fait que « les recherches concernant l’absence de cohérence entre l’achat de gel homologué et la production n’avaient pas été effectuées ». La Cour de cassation rendra sa décision le 10 octobre. Une date tardive qui se justifie par le nombre de points à juger et par la vérification de l’identité et de l’adresse de toutes les plaignantes, certains de ces points étant contestés par le groupe TUV.