Le Festival 2018 a peut-être trouvé sa Palme féminine
Nadine Labaki frappe fort en fin de compétition avec cette version contemporaine du Kid de Charlie Chaplin...
Un torrent d’émotion. Des flots de larmes. Comme 120 battements par
minute l’an dernier, Capharnaüm de Nadine Labaki a fait chavirer l’auditorium Lumière avec une version contemporaine du
Kid de Chaplin. L’histoire d’un gamin des bidonvilles qui attaque ses parents devant la justice pour l’avoir mis au monde alors qu’ils étaient manifestement incapables de subvenir à ses besoins les plus élémentaires. L’interminable standing ovation qui a succédé à la projection officielle en fait déjà le grand favori pour la Palme d’or, bien que les arbitres du bon goût cannois dénoncent un trop plein de pathos et une mise en scène trop sommaire. Alors qu’un seul film restait à présenter hier (mais pas le moindre : celui du Turc préféré du Festival, Nuri Bilge Ceylan déjà palmé pour Winter Sleep), Capharnaüm avait tout du candidat idéal à la récompense suprême. D’abord, c’est un film de femme et Cannes attend toujours une deuxième Palme féminine, 25 ans après celle de Jane Campion pour La Leçon de piano. Sa réalisatrice, Nadine Labaki, est libanaise: un pays qui a plus souvent les honneurs de l’actualité que du cinéma. Son sujet est, justement, d’une actualité brûlante puisqu’il mêle l’enfance maltraitée au problème des réfugiés, à la misère généralisée et au grand désordre mondial. Et, contrairement à nombre de films de la sélection, son traitement colle parfaitement à l’intention de départ. Deux heures durant, on suit le jeune héros Zain (Zain Al Rafeea, lui-même enfant des rues) dans un dédale de bidonvilles et de souks, censément situés à Beyrouth mais pouvant aussi bien évoquer ceux du Pakistan, de l’Inde ou du Kenya.Tourné caméra à l’épaule, à hauteur d’enfant, avec des comédiens castés sur place, en arabe et en Ethiopien (une des protagonistes est une réfugiée africaine), Capharnaüm est l’anti-Filles du
soleil : tout y sonne juste et vrai. Aucun « mignonisme », aucune concession au spectaculaire. Mais pas de misérabilisme forcé non plus : l’environnement dans lequel vit Zain est infernal, mais la pulsion de vie du petit garçon emporte tout. Un peu comme dans une version naturaliste de
Slumdog Millionnaire .Si Capharnaüm n’emporte pas la Palme qui lui semble due, le prix d’interprétation masculine ne devrait pas échapper au jeune Zain Al Rafeea. Trop d’émotions ? Trop de violons ? Trop de répétitions ? Peut-être. Mais ce film-là, on a vraiment envie de l’aimer. Et « Pour de
bonnes raisons», comme le recommandait le regretté Pierre Rissient, grand critique récemment disparu et auquel le Festival a rendu hommage.