Interprètes : ils ont du chien!
L’un est un anti-héros, qui va finir par montrer les crocs. L’autre est l’incarnation d’une Survivor au féminin. Marcello Fonte, 39 ans, et Samal Yeslyamova, 31 ans, lauréats des prix d’interprétation masculin et féminin, incarnent tous deux des personnages qui doivent lutter de toutes leurs forces pour ne pas être écrasés par les vents contraires d’un monde impitoyable. Instinct de survie quasi-animal, alors qu’ils sont traités comme moins que chiens. Dans Dogman de Matteo Garrone, la frêlissime allure de Marcello est d’abord confrontée à un énorme dobermann en colère, qu’il parvient néanmoins à domestiquer pour le toiletter, puisque tel est son métier. Il n’en est hélas pas de même avec le milieu de la drogue et de la délinquance dans lequel l’entraîne (l’enlaisse presque) son « pire » ami Simoncello, un autre type de molosse. Toutefois, le plus petit des deux est celui qui finira par mordre le plus... La remise du Prix par le chaplinesque Roberto Benigni, un compatriote, tombait à point pour honorer Marcello, ce little big man venu d’Italie. « Quand j’étais petit et qu’il pleuvait chez moi, je fermais les yeux et j’avais l’impression d’entendre des applaudissements, a déclaré ce fils de paysans, ancien squatteur aux abords de Rome soudain ébloui par les paillettes cannoises, qui n’osait pas se saisir de son trophée. Aujourd’hui, les applaudissements, c’est vous; ma famille, c’est Cannes, dans son moindre grain de sable, c’est le cinéma ! »
« Un moment mémorable dans ma vie »
Des chiens, il en est aussi question dans Ayka du Kazakh Sergueï Dvortsevoy, car son héroïne exerce brièvement un emploi de femme de ménage chez un vétérinaire pour tenter de subvenir à ses besoins. Mais dans ce film opressant, tourné caméra à l’épaule, et dont elle occupe quasiment chaque plan, la malheureuse a tout du chien errant. Endettée auprès de la mafia, Ayka s’enfuie de la maternité où elle vient d’accoucher. La mère violée se traîne partout dans un Moscou enneigé malgré une hémorragie (le blanc et le rouge sang) afin de trouver un quelconque emploi, et se cache dans un misérable taudis clandestin pour Kirghiz sans papier, au sein d’une société sans pitié. Samal Yeslyamova campe avec abnégation cette combattante de l’impossible, tout au long ce sombre calvaire. Entre souffrance et endurance, une survivante enragée dans le blizzard, la misère et la cruauté des hommes, qui force l’admiration et l’émotion. Ebahie de recevoir ce prix, presque muette, la jeune femme (frêle elle aussi) s’est contenté de ces quelques mots : « Thank you, merci beaucoup... C’est un moment mémorable dans ma vie » .Espérons que pour Samal Yeslyamova, elle continue d’être plus clémente que l’existence d’Ayka. Pour la remise du prix, Asia Argento était sans doute la personne idoine (une autre combattante à sa façon, tant par ses rôles que par sa personnalité meurtrie) et le gros coup de gueule de la soirée. De la gueule, les deux interprètes récompensés hier n’en manquent pas non plus...