«Cannes, c’est la valse de la grâce et de la disgrâce»
Quelles impressions gardez-vous de ce dernier Festival de Cannes ?
Il avait l’air plus calme que d’habitude. Certains disent qu’il est un peu courtcircuité par l’arrivée de Netflix, que les Américains sont moins présents et lui prédisent un avenir déclinant. Ils l’ont trouvé en d’autres termes moins vibrant. Mais le résultat du palmarès montre combien Cannes conserve une grande exigence cinéphile. Pour moi, c’est très objectivement La Mecque, le temple ou l’église du cinéma mondial parce que ce festival fait entrer en religion ou rend impie. C’est la valse de la grâce et de la disgrâce. Ce lieu de culte inspire des réactions contradictoires : on y est bien autant qu’on y est mal. C’est un bûcher des vanités sur lequel on sait qu’on ne sera pas brûlé mais qui porte un feu.
Cannes, c’est aussi un concentré de sollicitations, notamment, pour vous, celles des journalistes…
Avec l’instauration du
press junket, on enchaîne les rencontres avec les journalistes dans un temps commercial. Plutôt complexe, dans ce cadre minuté, d’échanger artistiquement et humainement ! Les acteurs et les actrices sont transformés en vendeurs. Moi, je tiens à préserver le charme et l’imprévu, les jolis moments inutiles aussi. Qui a envie que Cannes ne devienne plus qu’un marché ?
Est-ce que l’on vous propose aujourd’hui des rôles qui correspondent à votre maturité d’actrice ?
Il y a plein de rôles pour les femmes. C’est à nous de les inspirer aux scénaristes et metteurs en scène. D’ailleurs, comme par hasard, à Hollywood et dans le monde du cinéma, des rôles de femmes apparaissent, jaillissent alors que, soit disant, il n’y en avait pas pour les femmes de plus de quarante ans.
La preuve que cette révolution de femmes porte ses fruits ?
Absolument ! On entendait souvent à Hollywood que les actrices se désespéraient déjà passé l’âge de ans. C’est déroutant, non ? Il a fallu la chute d’un caïd de l’hégémonie. Un jour, on enverra une lettre de remerciement à Harvey Weinstein parce qu’il a été l’instigateur de la chute symbolique du mâle dominant, la plus positive au monde pour l’avenir des femmes.
Et maintenant ?
On n’a plus d’excuses. C’est à nous de conduire notre carrière. Je reçois de nombreuses propositions de rôles. J’ai horreur que l’on dise l’âge des actrices. Ça restreint l’imagination des metteurs en scène. Tant que l’on est physiquement crédible bien sûr, on est libre de voyager dans un temps hors chronologie de notre être. C’est une audace mais j’aime l’idée de pouvoir traverser un film, tantôt plus jeune, tantôt moins jeune.
L’âge de la femme, un relent de machisme ?
Il y a cette idée des hommes qui prédomine toujours, qu’après avoir passé un certain temps avec une femme, il faut en changer pour passer à plus jeune. C’est étonnant ça ! C’est la peur masculine de vieillir qui se reflète dans ce besoin de changement ; et là aussi, je pense que les choses peuvent s’adoucir. Le couple Macron vient, également et à sa manière, briser le tabou quasi insultant de la femme plus âgée que son compagnon.
Manquez-vous d’estime de vous-même ?
On passe sa vie à effacer ce qui nous a stigmatisés. C’est fou de passer sa vie à réparer sa vie. C’est vraiment une épreuve. Le métier d’actrice accentue cette épreuve parce qu’on est là pour témoigner, par la fiction, des difficultés à traverser l’existence, tout en ayant à la traverser soimême au quotidien. Notre mission, c’est faire vivre la
vie via la fiction et de la manière la plus vraie. Et je le ressens souvent si fort par humanité ! Ça fait partie du rôle de l’interprète qui doit, selon moi, s’intéresser à tout ce qui constitue la société, comme Frances McDormand qui vient de remporter l’Oscar avec
Three Bilboards, de Martin McDonagh. C’est comme ça que l’on s’encre et qu’on encre la vérité de ce que l’on fait. Cela vient parfois épuiser un capital vital puisqu’à la fois on s’épuise nous-même et on s’épuise à faire semblant, mais avec toute la vérité du monde qui est en nous. Alors, le respect de soi, c’est parfois savoir se mettre en retrait pour se préserver.
J’ai horreur que l’on dise l’âge des actrices ” C’est fou de passer sa vie à réparer sa vie ”