Monaco-Matin

Prison avec sursis requise contre deux médecins

La cour d’appel d’Aix-en-Provence est revenue sur la mort brutale d’Olivier Gandolfo, patient de l’hôpital Sainte-Marie à Nice, fin 2013. Le praticien de garde, rejugé avec l’interne, a été mis sur le gril

- À Aix-en-Provence, CHRISTOPHE CIRONE ccirone@nicematin.fr

La même toile de fond dramatique. Les mêmes protagonis­tes. Mais, au final, peutêtre pas la même issue judiciaire. Six heures durant, mardi, la cour d’appel d’Aix-enProvence est revenue sur la mort d’un jeune Niçois à l’hôpital Sainte-Marie. Ambiance pesante, en présence d’une famille dévastée. La cour rendra son arrêt le 25 juin. Décryptage d’une affaire édifiante et douloureus­e.

Les faits

Deux médecins comparaiss­ent pour homicide involontai­re devant la cour d’appel d’Aix-en-Provence. Ils répondent du décès brutal d’Olivier Gandolfo, 21 ans. Le jeune homme avait été interné un mois plus tôt pour soigner une « schizophré­nie paranoïde», liée à sa consommati­on de cannabis. Le 28 novembre 2013, il succombait à un arrêt cardiaque, à la suite d’une occlusion intestinal­e. Le Dr Dominique T., 58 ans, était le praticien de garde à Sainte-Marie ce soir-là. La jeune femme à ses côtés, de trente ans sa cadette, était interne en médecine. Marianne C. est devenue médecin depuis. La justice reproche à Dominique T. d’avoir mal apprécié l’état de santé d’Olivier Gandolfo. D’avoir tardé à réagir au moment critique. De ne pas avoir dispensé les instructio­ns requises. Et de n’avoir esquissé qu’une tentative de réanimatio­n « sommaire et sans conviction ». Dépassée, l’interne n’avait pas davantage réalisé de massage cardiaque. Marianne C. avait perdu vingt longues minutes au téléphone avec le Samu. Le régulateur l’enjoignait pourtant à tenter la réanimatio­n de la dernière chance.

Le précédent procès

Les deux prévenus avaient connu des fortunes diverses, à Nice, lors du procès devant le tribunal correction­nel. Marianne C. avait écopé de six mois de prison avec sursis, tandis que Dominique T. avait été relaxé. Le parquet avait pourtant requis à son encontre deux ans de prison, dont six mois ferme. Le ministère public a donc interjeté appel. D’où ce deuxième procès à Aix. Nouveauté : l’appel contre l’associatio­n hospitaliè­re Sainte-Marie (AHSM) a été abandonné. Celle-ci avait accepté la sentence : 10 000 euros d’amende. Le prix de défaillanc­es matérielle­s et d’un défaut de formation. Depuis, l’AHSM assure avoir tiré les leçons, « redit tous ses regrets » par la voix de Me Alexia Delvienne. Et d’ajouter: «L’urgence vitale en psychiatri­e est quelque chose d’extrêmemen­t marginal… »

Les débats

À Nice, le Dr Dominique T. s’était souvent montré confus à la barre. Idem à Aix. Alors le président Éric Cibiel, incisif, le place sur le gril : « Soyez très clair, Monsieur ! » La cour veut comprendre. Pourquoi ce médecin ne s’est pas alarmé de l’état du ventre d’Olivier Gandolfo – «dur comme celui d’une femme enceinte de quatre mois », dira sa mère, Hélène, infirmière. Comprendre pourquoi il n’a pas insisté pour faire réaliser un scanner, après un rendezvous avorté. « Je gérais deux situations en même temps, dans le même service. J’étais tout seul… », se défend Dominique T. Il nie toute responsabi­lité dans cette mort tragique. Conteste les témoignage­s à charge. Et reconnaît « avoir pris la décision de ne rien tenter » à son arrivée. «Iln’y avait aucune respiratio­n, aucun mouvement, et le regard était dilaté. » « Ce qui signifie ? », s’impatiente l’avocat général, Isabelle Pouey. Le médecin répond, catégoriqu­e : « Qu’il était en état de mort cérébrale. »

Le témoignage

Les proches d’Olivier Gandolfo laissent transpirer leur exaspérati­on. Hélène s’agrippe à la barre. L’infirmière dit son incompréhe­nsion, mais la mère dit sa colère : « J’attends des réponses aux questions qui me hantent depuis le 28 novembre 2013. » Lisant une lettre, sa mère brosse un portrait plein de tendresse de ce fils unique, « parti dans la plus grande des solitudes, la plus grande souffrance. Son dernier cadeau d’anniversai­re a été ses funéraille­s le jour de ses 22 ans. » « Il était dans la position d’un noyé. Il a vécu des moments absolument atroces. Tout le monde le voit, sauf lui ! », assène Me Sylvie Martin, en désignant Dr T. L’avocate de la partie civile dénonce « un concours de fautes qui a conduit à une perte de chance totale» , et une conclusion hâtive du médecin : « Personne ne pouvait affirmer que le patient était mort. Personne ! »

Les enjeux

« On ne doit pas mourir à 21 ans dans un hôpital parce qu’on souffre d’une occlusion intestinal­e. Ce dossier, c’est aussi celui de la prise en charge somatique dans les hôpitaux psychiatri­ques, estime l’avocate générale. Pas tout à fait, rétorque Me Hervé Zuelgaray, défenseur du Dr T. C’est le problème de l’urgence vitale en milieu hospitalie­r – qui plus est psychiatri­que. Ce n’est pas tout à fait la même chose… » Me Zuelgaray l’assure : le Dr T. n’a pas commis de faute. « Il ne pouvait pas savoir que son comporteme­nt faisait courir un risque à M. Gandolfo : il ne le connaissai­t pas. » Son défenseur plaide la relaxe. Me Eric Borghini, lui, demande « une condamnati­on de principe » pour Marianne C. « Le patient n’a pas été abandonné ; il a été laissé entre les mains de deux personnes très expériment­ées. »

Les peines requises

L’avocate générale requiert deux ans de prison avec sursis-mise à l’épreuve à l’encontre de Dominique T. Une peine en deçà des réquisitio­ns du parquet à Nice. Elle demande, en revanche, confirmati­on de la sanction infligée à Marianne C. : six mois avec sursis. La cour rendra son arrêt dans un mois. En cas de condamnati­on, l’affaire pourrait aller en cassation.

 ?? (D. R.) ?? Interné un mois plus tôt, Olivier Gandolfo a succombé à un arrêt cardiaque, à  ans.
(D. R.) Interné un mois plus tôt, Olivier Gandolfo a succombé à un arrêt cardiaque, à  ans.

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