Prison avec sursis requise contre deux médecins
La cour d’appel d’Aix-en-Provence est revenue sur la mort brutale d’Olivier Gandolfo, patient de l’hôpital Sainte-Marie à Nice, fin 2013. Le praticien de garde, rejugé avec l’interne, a été mis sur le gril
La même toile de fond dramatique. Les mêmes protagonistes. Mais, au final, peutêtre pas la même issue judiciaire. Six heures durant, mardi, la cour d’appel d’Aix-enProvence est revenue sur la mort d’un jeune Niçois à l’hôpital Sainte-Marie. Ambiance pesante, en présence d’une famille dévastée. La cour rendra son arrêt le 25 juin. Décryptage d’une affaire édifiante et douloureuse.
Les faits
Deux médecins comparaissent pour homicide involontaire devant la cour d’appel d’Aix-en-Provence. Ils répondent du décès brutal d’Olivier Gandolfo, 21 ans. Le jeune homme avait été interné un mois plus tôt pour soigner une « schizophrénie paranoïde», liée à sa consommation de cannabis. Le 28 novembre 2013, il succombait à un arrêt cardiaque, à la suite d’une occlusion intestinale. Le Dr Dominique T., 58 ans, était le praticien de garde à Sainte-Marie ce soir-là. La jeune femme à ses côtés, de trente ans sa cadette, était interne en médecine. Marianne C. est devenue médecin depuis. La justice reproche à Dominique T. d’avoir mal apprécié l’état de santé d’Olivier Gandolfo. D’avoir tardé à réagir au moment critique. De ne pas avoir dispensé les instructions requises. Et de n’avoir esquissé qu’une tentative de réanimation « sommaire et sans conviction ». Dépassée, l’interne n’avait pas davantage réalisé de massage cardiaque. Marianne C. avait perdu vingt longues minutes au téléphone avec le Samu. Le régulateur l’enjoignait pourtant à tenter la réanimation de la dernière chance.
Le précédent procès
Les deux prévenus avaient connu des fortunes diverses, à Nice, lors du procès devant le tribunal correctionnel. Marianne C. avait écopé de six mois de prison avec sursis, tandis que Dominique T. avait été relaxé. Le parquet avait pourtant requis à son encontre deux ans de prison, dont six mois ferme. Le ministère public a donc interjeté appel. D’où ce deuxième procès à Aix. Nouveauté : l’appel contre l’association hospitalière Sainte-Marie (AHSM) a été abandonné. Celle-ci avait accepté la sentence : 10 000 euros d’amende. Le prix de défaillances matérielles et d’un défaut de formation. Depuis, l’AHSM assure avoir tiré les leçons, « redit tous ses regrets » par la voix de Me Alexia Delvienne. Et d’ajouter: «L’urgence vitale en psychiatrie est quelque chose d’extrêmement marginal… »
Les débats
À Nice, le Dr Dominique T. s’était souvent montré confus à la barre. Idem à Aix. Alors le président Éric Cibiel, incisif, le place sur le gril : « Soyez très clair, Monsieur ! » La cour veut comprendre. Pourquoi ce médecin ne s’est pas alarmé de l’état du ventre d’Olivier Gandolfo – «dur comme celui d’une femme enceinte de quatre mois », dira sa mère, Hélène, infirmière. Comprendre pourquoi il n’a pas insisté pour faire réaliser un scanner, après un rendezvous avorté. « Je gérais deux situations en même temps, dans le même service. J’étais tout seul… », se défend Dominique T. Il nie toute responsabilité dans cette mort tragique. Conteste les témoignages à charge. Et reconnaît « avoir pris la décision de ne rien tenter » à son arrivée. «Iln’y avait aucune respiration, aucun mouvement, et le regard était dilaté. » « Ce qui signifie ? », s’impatiente l’avocat général, Isabelle Pouey. Le médecin répond, catégorique : « Qu’il était en état de mort cérébrale. »
Le témoignage
Les proches d’Olivier Gandolfo laissent transpirer leur exaspération. Hélène s’agrippe à la barre. L’infirmière dit son incompréhension, mais la mère dit sa colère : « J’attends des réponses aux questions qui me hantent depuis le 28 novembre 2013. » Lisant une lettre, sa mère brosse un portrait plein de tendresse de ce fils unique, « parti dans la plus grande des solitudes, la plus grande souffrance. Son dernier cadeau d’anniversaire a été ses funérailles le jour de ses 22 ans. » « Il était dans la position d’un noyé. Il a vécu des moments absolument atroces. Tout le monde le voit, sauf lui ! », assène Me Sylvie Martin, en désignant Dr T. L’avocate de la partie civile dénonce « un concours de fautes qui a conduit à une perte de chance totale» , et une conclusion hâtive du médecin : « Personne ne pouvait affirmer que le patient était mort. Personne ! »
Les enjeux
« On ne doit pas mourir à 21 ans dans un hôpital parce qu’on souffre d’une occlusion intestinale. Ce dossier, c’est aussi celui de la prise en charge somatique dans les hôpitaux psychiatriques, estime l’avocate générale. Pas tout à fait, rétorque Me Hervé Zuelgaray, défenseur du Dr T. C’est le problème de l’urgence vitale en milieu hospitalier – qui plus est psychiatrique. Ce n’est pas tout à fait la même chose… » Me Zuelgaray l’assure : le Dr T. n’a pas commis de faute. « Il ne pouvait pas savoir que son comportement faisait courir un risque à M. Gandolfo : il ne le connaissait pas. » Son défenseur plaide la relaxe. Me Eric Borghini, lui, demande « une condamnation de principe » pour Marianne C. « Le patient n’a pas été abandonné ; il a été laissé entre les mains de deux personnes très expérimentées. »
Les peines requises
L’avocate générale requiert deux ans de prison avec sursis-mise à l’épreuve à l’encontre de Dominique T. Une peine en deçà des réquisitions du parquet à Nice. Elle demande, en revanche, confirmation de la sanction infligée à Marianne C. : six mois avec sursis. La cour rendra son arrêt dans un mois. En cas de condamnation, l’affaire pourrait aller en cassation.