Goodbye, Philip Roth
Que faut-il inscrire sur la pierre tombale de Philip Roth ? Grand romancier, séducteur patenté bien qu’un peu misogyne, mauvaise conscience de l’oncle Sam, libéral, libertin, libertaire. Homme libre? Ce serait infiniment réducteur pour un écrivain culte à qui l’on a souvent brûlé des cierges dans les bibliothèques quand d’autres rêvaient de le cramer par le petit bout. Car ce diable d’homme aux nombreux doubles littéraires avait ce talent de se faire autant d’amis que d’ennemis. Les Juifs – il en était un – de Newark – c’est de là qu’il venait – n’ont pas du tout mais alors pas du tout aimé Goodbye Colombus, son premier livre, un recueil de nouvelles, paru en . Les rabbins new-yorkais cataloguent alors le jeune auteur de ans comme « un Juif plein de haine de soi »... Tellement irrévérencieux, tellement gonflé… de désir pour l’époque. L’incipit ? « La première fois que je vis Brenda » .Ily aura beaucoup de premières fois, et bien des Brenda. Une aussi mauvaise réputation, ça s’entretient. Chacun de ses ouvrages, une trentaine, gratte l’oncle Sam là où ça lui fait mal : le racisme (La tâche), le maccarthysme (j’ai épousé un communiste), le Vietnam, le gauchisme (Pastorale américaine), le puritanisme, la petite bourgeoisie, la majorité, les minorités, à chaque fois qu’il s’approchait de son écritoire (il travaillait debout), il rabattait la capuche du bourreau intraitable des choeurs désenchantés de l’Amérique contemporaine. La France l’adorait. Il a vendu exemplaires de La tâche en , quand il en écoulait péniblement aux USA. Avec Vargas Llosa, il partage ce privilège d’être le seul écrivain étranger vivant, édité dans la collection de la
Pléiade. « Je semble avoir rencontré un lectorat considérable en France et une relation étroite avec mes lecteurs français, bien que je ne puisse dire exactement pourquoi ». La réponse est pourtant évidente. À nos yeux, il était l’Américain idéal : drôle, ouvert au monde, très critique sur son propre pays, bref new-yorkais. L’alter ego, en littérature, de Woody Allen, au cinéma. S’il était aussi populaire au-delà de ses frontières, ce n’est pas seulement pour ses grands romans américains. Il a su (dés)enchanter nos tourments, l’amour, la paternité, la solitude, la maladie, la vieillesse qui le (nous) gagnait, livre après livre. Bref il a intégré le cercle si restreint des auteurs qui touchent à l’universel. Le premier deuil remonte à , quand il a renoncé officiellement à écrire. Sa disparition n’est finalement pour ses lecteurs qu’une petite mort. Nemesis, l’ultime roman, s’achevait par ces mots : « il nous paraissait invincible ». L’épitaphe de Philip Roth est finalement toute trouvée.