Monaco-Matin

La der du colonel Varo sur le ‘‘circuit des miracles’’

Le chef de corps des sapeurs-pompiers de Monaco sera au départ de son 25e et dernier Grand Prix, aujourd’hui. Ce même tracé où il a attrapé le virus de la F1 et contribué à sauver des vies

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De ses propres mots, le colonel Tony Varo ne tourne pas une page mais ferme un livre. «J’ai commencé ma carrière comme actif chez les pompiers, à 11 ans, en tant que ce qu’on appelait à l’époque “cadet”. C’est une partie de ma vie qui s’arrête…» À 52 ans, le chef des pompiers monégasque­s s’apprête à raccrocher pour répondre aux appels d’honneur du Palais princier. Ce dimanche, le drapeau à damier tombera donc sur la course en même temps que sur sa carrière de soldat du feu. Un dernier Grand Prix non sans émotions pour celui qui s’est pris au jeu de la Formule 1 au fil des années. «Je n’étais pas du tout passionné d’automobile quand je suis arrivé ici. Mais c’est l’ADN de la Principaut­é et j’ai appris notamment au travers des pompiers, qui sont des vrais passionnés, et bien sûr par le biais du président de l’Automobile Club de Monaco (Michel Boeri), de son équipe et des autorités.» Débarqué de Marseille au lendemain du titre européen de l’Olympique de Marseille, en 1993, Tony Varo a reçu l’exigence de sécurité d’un Grand Prix de plein fouet. « Senna et Ratzenberg­er venaient de trouver la mort à Imola. Leurs deux places étaient vides sur la grille de départ et ma première fonction était responsabl­e de la sécurité incendie sur la ligne de départ…» Une image gravée dans la rétine et, dès lors, un leitmotiv à coeur : «Pour moi, un beau Grand Prix, c’est un Grand Prix sans blessé à l’arrivée.»

«Le départ, c’est comme un essaim d’abeilles »

Comme tout un chacun, Tony Varo est saisi par l’intensité du Grand Prix lors de son baptême. «A la télé, le bruit était étouffé. En direct, on mesure tout de suite l’effet néfaste. Je me souviendra­i toujours d’un caporal qui m’avait demandé si j’avais prévu mes bouchons d’oreilles et je lui ai dit “Allez, c’est bon”. A la première voiture, une Ferrari avec moteur V12 très aigu, j’ai tout de suite eu un frisson et je lui ai demandé les bouchons (rires). On ne se rend pas compte non plus de la vitesse et des trajectoir­es, c’est à chaque fois un miracle. » Si la tâche qui lui incombe ne lui donne pas le vertige, sa mission, les protocoles d’interventi­on et les moyens à mettre en oeuvre nécessiten­t une adaptation. Le cadre si unique d’un Grand Prix de Monaco n’étant évidemment, ni dans les manuels de sapeur-pompier, ni dans les cas pratiques des écoles de formation. À l’époque, seuls deux rails et quelques arbres protègent le bord de piste par exemple. Si des chefs de corps précurseur­s ont oeuvré à l’évolution de la sécurité, des questions restent en suspens. «Le départ d’un Grand Prix, c’est comme un essaim d’abeilles. Ça vrombit, ça pousse, et ça surgit. Je me disais : “Et s’il y en a une qui s’envole? Quelle est ta zone de sécurité à part derrière les arbres ?”» Les années 90, puis 2000, révolution­neront la sécurité mais le chef de corps n’a cessé de rappeler à ses troupes que les innovation­s concernent en priorité les pilotes. Heureuseme­nt, la discipline des bénévoles de l’Automobile Club de Monaco comme de ceux de la Croix-Rouge monégasque, précieux et indispensa­bles partenaire­s, relèvent tout autant du militaire que celle des pompiers. « L’ACM est une structure à l’image de son président, un passionné de la première heure et quelqu’un qui est conscient des risques et n’a jamais lésiné sur les moyens humains et matériels. »

« Revivre chaque Grand Prix comme le premier »

Le secret de la réputation des anges gardiens du GP de Monaco? La remise en question permanente, notamment lors des débriefing­s. «Je suis très exigeant. Premièreme­nt, on ne rentre pas pompier de Monaco comme on rentre ailleurs. Il y a un niveau d’excellence qui est demandé. Ce niveau est atteint parce que, derrière, j’ai des entraîneme­nts qui sont là pour préparer au mieux un assaut.» Une discipline qui ne tolère pas la routine, notion qu’exècre Tony Varo au point «de revivre chaque Grand Prix comme le premier». «L’extincteur, par exemple, ce n’est pas l’outil de prédilecti­on du pompier. Chaque année on refait une piqûre de rappel sur son utilisatio­n. L’utiliser quand tout se passe bien, ça va, mais quand une voiture frappe un rail et que vous êtes derrière… Il faut trouver la fenêtre pour entrer sur la piste et sauter avec l’extincteur. C’est du réflexe mais avant tout de l’entraîneme­nt.»

« Dans notre jargon, on se dit “Méfi”»

Et quoi de mieux pour s’exercer que le Grand Prix historique? «Ça reste le plus dangereux à mes yeux. Avec des véhicules pas protégés, des réservoirs pas traités et pour certains du méthanol… Dans notre jargon, on se dit “Méfi”!» Et des fois, on prie. Comme ce printemps 1997 lorsque Sainte-Barbe a été devancée… «Je me souviens d’un pilote qui s’était retrouvé éjecté de son véhicule à Sainte-Dévote. Il est au sol, les véhicules lui passent à côté et il n’a rien du tout ! On se dit que Sainte-Dévote était là. » Des sueurs froides? Des moments de doutes face à certains accidents? «Non, car la réponse est toujours une action humaine.» Et pour cela, Tony Varo a une équipe de choc. «Quand vous les regardez travailler, c’est un ballet. il n’y a pas d’ordres. C’est des mots, des gestes, des regards.» Des gestes répétés encore et encore pour ne pas nuire à l’image de la Principaut­é et être pointés du doigt par des centaines de millions de téléspecta­teurs. Une hantise depuis le tragique épisode Bandini en 1967 (lire ci-dessous)…

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« L’extincteur n’est pas l’outil de prédilecti­on du pompier. »

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