Pr Marquette : « A l’époque, personne n’y croyait ... »
« On était au début des années 2000. Il avait 16 ans. Et il souffrait d’une tumeur très rare de la trachée, inopérable tant elle était étendue ». Jamais le Pr Charles-Hugo Marquette, aujourd’hui chef du service de pneumologie du CHU de Nice, n’oubliera ce « gamin ». « J’ai cherché dans le monde entier qui pouvait avoir une solution à me proposer pour traiter ce jeune homme. » Ce n’est pas très loin de la capitale des Flandres, où il exerçait alors, que le Pr Marquette va trouver une réponse. « J’ai appris qu’un jeune médecin parisien, membre de l’équipe du professeur Alain Carpentier [connu pour la mise au point du premier coeur artificiel intégralement implantable, Ndlr], travaillait à la mise au point de greffe de trachée à partir d’aorte cryoconservée. » Ce médecin porte un nom aujourd’hui célèbre : Emmanuel Martinod. « Personne ne croyait dans ses résultats, et il avait toutes les peines du monde à les publier !», se souvient le Pr Marquette. Comment imaginer en effet
«qu’en plaçant un cylindre
d’aorte à la place de la trachée, on pouvait obtenir en moins d’un an une nouvelle trachée ! » Les deux hommes se rencontrent et vont collaborer étroitement. « À Paris, Emmanuel Martinod menait des expériences sur la brebis. J’utilisais de mon côté un autre modèle animal, permettant de compléter
les informations qui nous manquaient concernant cette
greffe. » Les résultats de leurs recherches conjointes seront publiés en 2006 dans l’une des revues scientifiques les plus prestigieuses au monde(1). «Parmi les deux premiers patients au monde opérés figurait « mon gamin », âgé alors de 18 ans. La greffe a été un succès mais il est malheureusement décédé d’un AVC, victime d’une hypercoagulation du sang », se souvient encore avec tristesse le pneumologue. Trois autres patients greffés survivront, encourageant la poursuite des recherches.
« Mais jusqu’à récemment, on n’avait pas apporté la preuve que ce qu’on implantait allait ressembler à une vraie trachée. » La démonstration est désormais faite. Pourquoi aura-t-il fallu près de douze années pour la fournir ? « Les malades qui relèvent pour leur survie d’une greffe de trachée sont heureusement très rares. Souvent, il s’agit de tumeurs radio et chimiorésistantes, très agressives, qui ont tout envahi. Et l’intervention, sous CEC (circulation extracorporelle) est extrêmement lourde : il faut ouvrir le thorax, tout enlever etc. » Des interventions qui peuvent durer de 12 à 15 heures. Mais qui ont déjà permis de sauver douze vies.
1. New England Journal of Medicine 355; 18 . November 2, 2006.