Monaco-Matin

Une seconde chance pour le voleur repenti du Yacht-club

- JEAN-MARIE FIORUCCI

Né d’une mère incarcérée pour prostituti­on et héroïnoman­e et d’un père en détention pour proxénétis­me, c’est un « bébé taulard » tombé dans la spirale de la délinquanc­e qui est passé à confesse devant le tribunal correction­nel. Galères, rapines, mauvaises fréquentat­ions, familles d’accueil, foyers, fugues, prison pour mineurs, squats, famine, emplois saisonnier­s, et la rue bien souvent pour unique logement ont rythmé son enfance et son adolescenc­e. Aujourd’hui, c’est un jeune homme de vingt-six ans qui revient de l’enfer. Il a fait une croix sur son calvaire, sur ses enfermemen­ts successifs, sur tous les dangers abordés. Au moment de comparaîtr­e, menotté, le prévenu dévoile courageuse­ment son parcours, depuis les stigmates des souffrance­s infligées par des proches jusqu’à ce vol commis entre le 24 et 25 octobre 2011 au Yacht-club de Monaco. Le récit de ce photograph­e est bouleversa­nt et la conclusion à la gloire de sa reconstruc­tion. « J’ai changé ! Je veux travailler pour gagner ma vie honnêtemen­t. Sortir des punitions et des privations. Peut-être fonder un foyer. Vous pouvez me faire confiance… »

Trahi par son CV

Les magistrats écoutent ce récit poignant aux facettes proches du roman d’Hector Malot : Sans famille. Le président Florestan Bellinzona élude avec adresse les péripéties dramatique­s pour revenir

au délit reproché, et rappeler la condamnati­on par défaut du 5 novembre 2013 pour les faits reprochés. À l’époque, le fautif avait été condamné à une peine de 18 mois ferme avec mandat d’arrêt. Extradé récemment par la police suisse, il arrivait le 7 mai dernier en Principaut­é où il faisait aussitôt opposition au jugement avant de rejoindre la maison d’arrêt [lire Monaco-Matin du vendredi 11 mai 2018]. « Cette nuit d’octobre, poursuit le magistrat, vous avez volé : veste, foulard, nourriture, chéquier, ordinateur, boites de cigarillos, pour plus d’un millier d’euros de préjudice, plus une enveloppe avec

1 085,50 euros en numéraire. Quelques jours plus tard vous émettez seize chèques à partir du carnet du directeur. Pour rassurer les bénéficiai­res, vous vous faites passer pour son fils. Sept seront débités de son compte pour une somme totale de 2 200 euros. Quand le personnel s’aperçoit de cette disparitio­n, il croit dans un premier temps à l’action d’un employé indélicat. Mais un fur et à mesure de la collecte d’indices et d’empreintes, les policiers trouvent un CV avec photo. Cette piste les mène jusqu’à vous… » De très longues explicatio­ns vont suivre de la part du détenu. « Je n’avais plus d’endroit pour loger », annonce-t-il pour convaincre.

« On notera mon niveau d’ignorance »

«Arrivé à Monaco, j’ai squatté les lieux. Je ne mangeais plus depuis deux jours et je n’avais plus d’argent. Pour chercher de la nourriture, j’ai visité les locaux du Yachtclub… À 6 heures, je prenais le premier train pour Aix… Avec les chèques, j’ai payé la caution du loyer, les produits de nécessité et les courses. L’ordinateur, je l’ai vendu. C’était la galère pour manger. Ce vol était une opportunit­é. On notera mon niveau d’ignorance en laissant un CV et une autre piste avec les chèques émis… » Après le rappel des huit condamnati­ons inscrites au casier judiciaire, en majorité pour vols, par le président, le procureur Alexia Brianti a évoqué ce dossier particulie­r. « Cinq ans plus tard, cet homme s’est intégré socialemen­t. Mais les actes graves, commis auparavant, justifient sa détention. Je ferai deux propositio­ns : une peine de quatre à six mois ferme afin de purger son erreur. Ou bien, après avoir fait un mois et demi de détention je propose de le condamner à un quantum important avec le bénéfice du sursis. » Le parquet aurait-il jeté les prémices de la peine mixte, inexistant­e dans le code pénal monégasque ?

« Merci Monsieur le Président »

Pour la défense, Me Clyde Billaud fait remarquer : « C’est la première fois qu’un voleur laisse un CV… Mon client a vécu sa jeunesse dans un contexte difficile. À l’époque, son père lui prenait l’argent pour jouer au casino. Sa mère est morte quand il avait un an. Aujourd’hui, il veut s’en sortir et il entend rembourser ses victimes. Une peine avec sursis démontrera­it que la Justice monégasque est très sévère. Mais elle sait aussi accorder une seconde chance… » Le tribunal a compris le message et prononce une peine de neuf mois assortie du sursis. Le prévenu, libre, annoncera : «Je suis content de ce qui m’arrive. J’ai pu m’expliquer devant vous. Merci Monsieur le Président. »

 ??  ?? Le Yacht-club avait dans un premier temps cru à l’action d’un employé indélicat. (Archives C. Dodergny)
Le Yacht-club avait dans un premier temps cru à l’action d’un employé indélicat. (Archives C. Dodergny)

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