Monaco-Matin

Arlequin et Frankenste­in

- CLAUDE WEILL Journalist­e, écrivain et chroniqueu­r TV edito@nicematin.fr

L’Italie a un nouveau gouverneme­nt. L’Espagne n’en a plus. À part ça, les deux situations ne sont pas sans présenter de troublante­s ressemblan­ces. À Madrid, le sémillant leader socialiste Pedro Sanchez a réussi à faire tomber le gouverneme­nt de Mariano Rajoy en réunissant une majorité hétéroclit­e allant de la gauche radicale de Podemos aux indépendan­tistes catalans en passant par la droite nationalis­te basque. On souhaite bien du plaisir à Sanchez pour diriger le pays à la tête d’une formation minoritair­e, avec seulement  députés sur , en s’appuyant sur une coalition de bric et de broc, dont le rejet de Rajoy est le seul ciment. Les observateu­rs ne promettent pas un grand avenir à cet attelage qualifié par Albert Rivera, leader de Ciudadanos (centriste pro-unité de l’Espagne) de « gouverneme­nt Frankenste­in ». Cruel mais bien vu. À Rome, après un psycho-politico-drame digne des plus grandes heures de la combinazio­ne à l’italienne, le président a formelleme­nt accepté d’investir le gouverneme­nt Conte, né de l’improbable accoupleme­nt de l’extrême-droite anti-européenne (la Ligue de Matteo Savini) et du mouvement protestata­ire  étoiles de Luigi Di Maio. À part le fait de chasser sur les mêmes terres – le ressentime­nt anti-élites des milieux populaires -, les deux composante­s de ce couple baroque ont en réalité peu de choses en commun. Ajoutez que les Affaires européenne­s ont été confiées à un europhobe (et germanopho­be) patenté, les Affaires étrangères à un europhile notoire, l’Économie à un eurocritiq­ue mais défenseur de l’euro, et vous obtenez un gouverneme­nt Arlequin, comme l’habit du personnage de la commedia dell’arte. Ainsi va le nouveau jeu des alliances dans un paysage politique européen explosé. Si les formes diffèrent d’un pays à l’autre, selon le contexte et la culture nationale (fièvre séparatist­e en Espagne, populisme antisystèm­e en Italie, nationalis­me xénophobe en Europe centrale, tentations radicales et extrémiste­s en France), ce sont bien les mêmes forces tellurique­s qui sont à l’oeuvre ici et là : ce n’est plus – ou plus seulement – le duel gauche-droite qui structure le champ politique mais les opposition­s entre vieux et nouveaux partis, entre souveraini­stes et pro-européens, libre-échangiste­s et antilibéra­ux, populistes et partis du « système ». De bipolaires, les configurat­ions politiques sont devenues tri, quadri, multipolai­res, renouvelan­t radicaleme­nt – et compliquan­t considérab­lement - le jeu des alliances. Au risque soit de blocage institutio­nnel - cela se voit de plus en plus souvent, y compris dans la sage Allemagne où il a fallu six mois pour reconduire l’alliance CDU-SPD. Soit de l’émergence – en lieu et place des forces traditionn­elles - de coalitions inédites. Et vraiment pas rassurante­s... Il faut s’intéresser de près à ce qui se passe à Rome et à Madrid.

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