Arlequin et Frankenstein
L’Italie a un nouveau gouvernement. L’Espagne n’en a plus. À part ça, les deux situations ne sont pas sans présenter de troublantes ressemblances. À Madrid, le sémillant leader socialiste Pedro Sanchez a réussi à faire tomber le gouvernement de Mariano Rajoy en réunissant une majorité hétéroclite allant de la gauche radicale de Podemos aux indépendantistes catalans en passant par la droite nationaliste basque. On souhaite bien du plaisir à Sanchez pour diriger le pays à la tête d’une formation minoritaire, avec seulement députés sur , en s’appuyant sur une coalition de bric et de broc, dont le rejet de Rajoy est le seul ciment. Les observateurs ne promettent pas un grand avenir à cet attelage qualifié par Albert Rivera, leader de Ciudadanos (centriste pro-unité de l’Espagne) de « gouvernement Frankenstein ». Cruel mais bien vu. À Rome, après un psycho-politico-drame digne des plus grandes heures de la combinazione à l’italienne, le président a formellement accepté d’investir le gouvernement Conte, né de l’improbable accouplement de l’extrême-droite anti-européenne (la Ligue de Matteo Savini) et du mouvement protestataire étoiles de Luigi Di Maio. À part le fait de chasser sur les mêmes terres – le ressentiment anti-élites des milieux populaires -, les deux composantes de ce couple baroque ont en réalité peu de choses en commun. Ajoutez que les Affaires européennes ont été confiées à un europhobe (et germanophobe) patenté, les Affaires étrangères à un europhile notoire, l’Économie à un eurocritique mais défenseur de l’euro, et vous obtenez un gouvernement Arlequin, comme l’habit du personnage de la commedia dell’arte. Ainsi va le nouveau jeu des alliances dans un paysage politique européen explosé. Si les formes diffèrent d’un pays à l’autre, selon le contexte et la culture nationale (fièvre séparatiste en Espagne, populisme antisystème en Italie, nationalisme xénophobe en Europe centrale, tentations radicales et extrémistes en France), ce sont bien les mêmes forces telluriques qui sont à l’oeuvre ici et là : ce n’est plus – ou plus seulement – le duel gauche-droite qui structure le champ politique mais les oppositions entre vieux et nouveaux partis, entre souverainistes et pro-européens, libre-échangistes et antilibéraux, populistes et partis du « système ». De bipolaires, les configurations politiques sont devenues tri, quadri, multipolaires, renouvelant radicalement – et compliquant considérablement - le jeu des alliances. Au risque soit de blocage institutionnel - cela se voit de plus en plus souvent, y compris dans la sage Allemagne où il a fallu six mois pour reconduire l’alliance CDU-SPD. Soit de l’émergence – en lieu et place des forces traditionnelles - de coalitions inédites. Et vraiment pas rassurantes... Il faut s’intéresser de près à ce qui se passe à Rome et à Madrid.