«En écrivant, j’ai redonné une intégrité à mon père à la manière d’un restaurateur en oeuvre d’art...»
C’est le genre de personnage qui réconcilie avec le genre humain. À l’inverse de l’intelligence artificielle, dont il se méfie pour l’avenir, son intelligence à lui est naturelle, étincelante, claire, sublime. Le médecin, généticien, passionné de réflexion éthique, présente aujourd’hui, à heures, sur l’espace débats du Festival du livre de Nice, son dernier livre, Jean, un homme hors du temps (Stock), où il retranscrit la pensée de son père avant son suicide en tout en remontant le fil et les raisons de sa passion pour l’humain.
«Sois raisonnable et humain» vous écrit votre père dans sa lettre d’adieu… J’ai recherché la signification de cette injonction paternelle. Qu’a-t-il voulu me dire ? Comment devient-on humain? Qu’est-ce qui pourrait nous menacer de le devenir ? Quels sont les risques d’une régression ? Toute ma vie, chaque fois que j’ai eu une décision importante à prendre, j’avais un surmoi paternel qui me faisait poser la question : qu’aurait pensé mon père de ma décision…
Un livre en guise de psychothérapie pour poser un bagage trop lourd à porter ? Au moment de son départ, mon père va avoir ans. J’en ai . Dans la lettre, il y a l’entrée en matière et l’injonction finale. Si vous mettez ensemble les deux, la lettre n’est pas indulgente car mon père m’écrit aussi que je suis capable de faire durement les choses nécessaires. Juste avant de mourir, il s’inquiète. Son regard n’est pas favorable. Il sent en moi une brutalité qui le préoccupe.
Cette injonction a-t-elle influencé vos recherches sur la vie ? Ce fut un fil directeur. La vie est un labyrinthe aussi complexe que celui dans lequel sévissait le minotaure. Papa m’a donné un fil d’Ariane pour que je me retrouve. Il est clair que sans cette injonction, ma vie eut été différente.
Le thème du festival est pourquoi écrire ? Que répondez-vous ? Je reviens à l’injonction initiale. Le avril , il est nécessaire que je fasse une chose très dure : reconnaître la dépouille de mon père. Il ne lui reste alors que le menton avec sa fossette. Cette dépouille appartient à Jean Kahn mais je ne peux pas me résoudre à ce que ces débris d’homme soient mon père, affable, souriant, intelligent. J’ai fini par franchir le hiatus grâce à l’écriture. Ce que j’ai voulu, c’est recoller les morceaux, reconstruire la statue. Le seul outil que j’avais, c’était la littérature, qui a permis à Jean de revivre. En écrivant, j’ai redonné une intégrité à mon père à la manière d’un restaurateur en oeuvre d’art.
Des attaches avec Nice ? Oui, beaucoup. J’ai vécu une passion amoureuse dans l’arrière-pays niçois. J’aurais dû être Niçois, cela ne s’est pas fait. Mais mon prochain livre Chemin, car je suis un grand marcheur, se passera ici, dans le Gelas, à Casterino…