Modernité ressuscitée
RESTAURATION DE LA VILLA « E-» À ROQUEBRUNE
Comme un jeu de cubes d’une ingéniosité remarquable. Esprit marin entouré d’embruns. Posé sur des restanques. Dans un écrin de verdure. Bienvenue dans l’univers avant-gardiste et surprenant de la Villa «E-1027» de Roquebrune-Cap-Martin. Construit entre 1926 et 1929 par l’architecte et designer irlandaise Eileen Gray, ce bijou d’architecture a été classé Monument historique. Depuis 2015, la maison sur pilotis d’exception fait l’objet d’un vaste chantier de restauration. «Elle tombait en ruine. Elle avait été dégradée et son état était très inquiétant, d’autant que la maison avait tendance à prendre l’eau en période d’orage. Il fallait agir », résume Michael Likierman, président de l’association «Cap Moderne», propriétaire de l’ensemble du site éponyme (1).
« Des espaces de vie complets »
« Les premières années, nous avons essayé de rendre l’ensemble du site architectural étanche», précise-t-il. Concernant la Villa E-1027, nous tentons – aujourd’hui – de lui redonner l’apparence qu’elle avait en 1929. Cet hiver, un travail exceptionnel a été entrepris. » Les efforts de restauration de la Villa « E-1 027 » se sont concentrés sur la partie « Est », c’est-à-dire les cuisines d’hiver et d’été, le réservoir d’eau et les salles de bain. « Il a fallu trouver des artisans passionnés pour reconstituer le réseau d’eau mais aussi le système électrique », précise Claudia Devaux, chef de projet. Moustiquaires, paravents, coiffeuses, miroirs, lampes, tables à roulettes avec un gramophone… La villa s’est enrichie du mobilier et de la décoration d’époque à partir des documents et photos d’archives. « Le public va pouvoir découvrir des espaces de vie complets», s’enthousiasme l’architecte Renaud Barrès, en charge de reconstruire tout le mobilier. « Nous avons reconstruit le mobilier avec les mêmes matériaux, les mêmes dimensions, les mêmes finitions et les mêmes méthodes qu’en 1929. » Dans le cadre de la restauration, des tapis ont même été fabriqués à l’identique. Et certains objets manquants ont nécessité un long et méticuleux travail de recherche. « Dans la chambre d’Eileen Gray, il y avait un tabouret très technique. Nous avons fini par comprendre qu’elle avait détourné un tabouret de dentiste! Après des recherches, nous avons réussi à retrouver un tabouret de cette même marque. »
À la recherche du mobilier manquant
Cet hiver, les terrasses, les accès et les plantations ont été réaménagés pour retrouver la configuration voulue par Eileen Gray et son ami Jean Badovici. Cette année, le jardin a également retrouvé son aspect initial, ouvert sur la mer. Au fil du temps, la vue en avait été obstruée par les bambous imposants. « Nous avons dégagé le jardin puis redessiné toutes les restanques comme en 1929. Nous avons replanté quatorze citronniers et des bananiers», explique Philippe Deliau, paysagiste. Eileen Gray voulait confronter une terre agricole et une villa moderne. « Pour elle, il n’y avait pas de frontière entre le jardin et la maison. » Dans cette logique, la designer avait créé un solarium en carreaux de ciment et carrelage, lequel a été reconstitué à l’identique. L’association «Cap Moderne» a investi près de 5 millions d’euros dans ce vaste chantier qui englobe la villa et les sites corbuséens. L’association va poursuivre son travail de restauration jusqu’en mars 2020. « Durant ces deux prochaines années, nous essaierons d’acquérir le mobilier mobile que nous n’avons pas pu financer à ce jour.» Surtout des tables, des chaises et des fauteuils… « Il faudra également poursuivre la restauration dans les deux chambres», ajoute Renaud Barrès. Puis le Centre des Monuments Nationaux (CMN) prendra seul la gouvernance de l’ensemble architectural « Cap Moderne ». « À partir de cette date, nous travaillerons sur un projet patrimonial qui vise à renforcer l’attractivité du site », précise Bénédicte Lefeuvre, directrice générale du CMN. Tout l’été, des visites et animations (lire par ailleurs) sont proposées au public.Pour redécouvrir un habitat, témoignage unique du génie d’Eileen Gray. 1. L’ensemble architectural de «Cap Moderne » au Cap-Martin réunit la villa E1027, le Cabanon du Corbusier – classé et inscrit sur la liste du patrimoine mondial de l’Unesco – les Unités de camping et le barrestaurant de l’Étoile de Mer. À ce jour, l’ensemble des constructions de Le Corbusier a été restauré.