Chez Ando, l’Arménien

On est bien reçu chez Ando. Enfin, au début, ce n’est pas si évident que ça. Le boss du restaurant « the Mill » est une carcasse, possède des épaules de talonneur, porte la chemise à moitié ouverte et une chaîne épaisse jusqu’au nombril. Sur la terrasse nichée derrière une grande salle à la décoration douteuse – celle où on avait dîné seul à notre arrivée –, il fait lourd. Le soleil cogne. Ando s’est posé à l’ombre. Il enchaîne clope sur clope et nous fait signe de venir se poser à ses côtés. On s’exécute. Il a fait monter la sono et lancer une playlist de Joe Dassin, dont le grand-père était originaire d’Odessa. Ber’, un ami confrère – le même qui a chanté du Rage Against the Machine, à Kazan –, chef à ses heures perdues, s’improvise une petite danse sur l’air de Dans les yeux d’Emilie. L’été

indien, Et si tu n’existais pas, on revisite les classiques de Dassin, une véritable star en Russie, où il devait se rendre pour une immense tournée juste avant sa mort à Tahiti, le 20 août 1980, à l’âge de 41 ans. Brune au bec, Ando a l’air d’apprécier, même si, originaire d’Arménie, il préfère nous parler d’Aznavour, Djorkaeff, Zidane et de Hollande. Il a quitté son pays au lendemain de l’explosion du bloc soviétique, ne parle pas anglais, mais on se comprend, tant bien que mal, traducteur à portée de mains. Il nous parle du mont Ararat, un symbole fort chez les Arméniens bien qu’il soit sur le territoire turc. Depuis Erevan, la capitale, il pointe toujours à l’horizon. D’après le Livre de la Genèse, l’Arche de Noé se serait posée sur le mont « Massis ». Ando pose sa main sur son coeur. Il lève les yeux au ciel. Amen ! Il poursuit son cours d’histoire en nous parlant des

khatchkars, ces pierres rectangulaires sculptées d’une ou plusieurs croix, typiques de l’art arménien. La leçon d’histoire s’achève. On prend la pose avec notre ami. On lui donne rendez-vous pour les jours prochains, il nous offre un abricot. Un moment succulent...