Monaco-Matin

Le jardinier avait bu du désherbant par erreur

- JEAN-MARIE FIORUCCI

Deux jardiniers et deux responsabl­es de la direction de l’Aménagemen­t urbain (DAU) se sont retrouvés à la barre du tribunal correction­nel à la suite de l’empoisonne­ment accidentel d’un employé du service des Jardins. Le 18 juin 2015, Alex Rossi, pour étancher sa soif, avale une bonne gorgée d’herbicide en croyant se désaltérer avec de l’eau. Il a échappé à une mort certaine par empoisonne­ment après des mois de souffrance­s et d’hospitalis­ation. Comment est-ce possible? Le désherbant avait été transvasé dans une bouteille alimentair­e vide, oubliée sans étiquette ni surveillan­ce, par les employés du service des Jardins. Ce jardinier n’était pas présent à l’audience. Il est décédé accidentel­lement le 6 mars dernier, au cours d’une sortie à vélo sur la Basse-Corniche, à Cap-d’Ail, la tête écrasée par un bus (notre édition du 7 mars).

La famille réclame de   à   € de préjudice

D’emblée, le président Jérôme Fougeras-Lavergnoll­e s’est associé à l’affliction de la famille du défunt. En face du magistrat, quatre prévenus restés silencieux et aux visages à la même expression d’effroi pendant l’évocation de ce jour maudit. Suit alors le récit d’une agonie interminab­le «avec des mois de coma et d’hôpital, une profonde dépression jusqu’à la paranoïa! Et une

vie qui a repris doucement mais sans être véritablem­ent normale ». L’avocat s’emporte quand il aborde les conditions au moment du transvasem­ent : «Les règles n’ont pas été respectées! Deux jardiniers: un remplit une bouteille d’eau alimentair­e avec de l’acide acétique, oubliée, isolée ; l’autre la dépose dans le local. Certes, le liquide sent fort. Mais quand Alex Rossi boit, il n’a plus d’odorat à cause d’une cloison nasale fracturée à plusieurs reprises… » Le demandeur ne croit pas au hasard: «On est dans le vestiaire mitoyen avec le local des produits dangereux où tout le monde se servait avec des contenants non adaptés à cet effet. Tout a fini

comme ça devait finir… La mère, l’épouse, le frère réclament respective­ment 10000 euros, 20000 euros, 5000 euros de préjudice. »

« Imprudence­s et négligence­s » pour le procureur

Le procureur Alexia Brianti démontre alors qu’il s’agit, pour elle, d’un enchaîneme­nt de fautes. « Le remplissag­e sans apposer le moindre avertissem­ent; la bouteille laissée à côté du bidon; le manque d’informatio­n pour la manipulati­on ; aucune connaissan­ce du protocole ; l’absence de sécurité de la part du chef du secteur. Autant d’imprudence­s et de négligence­s suffisante­s pour engager la responsabi­lité des quatre personnes mises en cause au vu du Droit monégasque. Si tout avait été respecté, ces Messieurs ne seraient pas là ! Des amendes sont justifiées : 1 000 euros pour chacun des deux jardiniers; 6000 euros pour chacun des deux responsabl­es. »

« On ne boit pas dans la bouteille d’un autre… »

Les quatre avocats de la défense, Mes Jean-Louis Deplano, Julien Darras, Franck Chouman, du barreau de Nice, et Me Hervé Campana ne sont pas là pour faire de l’empathie. Ils réclament la relaxe de leurs clients car dans cette affaire, «il n’y a pas de jurisprude­nce et il n’y a pas de responsabi­lité solidaire dans le Droit pénal. La perte de l’être cher n’est pas causée par cet accident du travail ». Tous se demandent comment la victime, à l’époque, a pu avaler ce répulsif naturel qui provoque à 40 cm une sensation désagréabl­e. Les avocats se demandent comment on peut reprocher la moindre faute aux prévenus, sachant que personne ne savait que ce jardinier avait un trouble de l’odorat : «Même la Médecine du travail n’était pas informée ! Le lien causal fait perdre à la notion de blessures involontai­res toute sa substance ! Et puis, finalement, on ne boit pas dans la bouteille d’un autre… » L’affaire a été mise en délibérée. La décision sera rendue le vendredi 31 août, à 9 heures.

 ?? (Photo Cyril Dodergny) ?? Le tribunal correction­nel rendra sa décision le  août dans ce dossier où la victime, un jardinier de la DAU, a bu accidentel­lement du désherbant.
(Photo Cyril Dodergny) Le tribunal correction­nel rendra sa décision le  août dans ce dossier où la victime, un jardinier de la DAU, a bu accidentel­lement du désherbant.

Newspapers in French

Newspapers from Monaco