Monaco-Matin

Pogba, la métamorpho­se

En simplifian­t son jeu et en acceptant de moins briller, le milieu a pris une nouvelle dimension aux yeux des gens et au sein du groupe

- VINCENT MENICHINI, À ISTRA (AVEC W.H.)

Pour Paul Pogba, il y aura un avant et un après Coupe du monde en Russie. Et ce, qu’importe le résultat final, même s’il ne souhaite qu’une seule chose, « faire péter la France ». «Le goût de la défaite, je n’ai pas aimé, c’est très amer. Après l’Euro, mes vacances n’ont pas été bonnes, je ne veux plus vivre ça », glisse le milieu tricolore, qui réalise un Mondial de haute facture, après avoir été la cible de nombreuses critiques durant toute la préparatio­n. « Je peux le comprendre, confie Patrick Vieira, le nouvel entraîneur de l’OGC Nice. A son retour à Manchester, il n’a pas eu le niveau que les gens attendaien­t. Il y a eu une déception. Et aussi une pression un peu négative. » En réalité, ‘‘PP’’ suscite de nombreux fantasmes depuis le début de sa carrière. Parti très tôt du Havre pour rejoindre, une première fois, Manchester United, il se braque avec Alex Ferguson et s’engage à la Juventus Turin. En Italie, ‘‘la Pioche’’ explose. Il enchaîne les buts exceptionn­els, les prestation­s XXL, se déclare candidat au Ballon d’or et finit par retourner à Manchester United pour 100 M€. Ça fait beaucoup pour un garçon d’à peine 25 ans, qui joue sa deuxième Coupe du monde et qui fêtera, contre la Croatie, sa 60e sélection, déjà. Forcément, cela crée des attentes, démesurées sans doute, compte tenu du poste qu’il occupe sur le terrain, celui de récupérate­ur-relayeur, qui n’est pas toujours propice aux arabesques et aux envolées. « Il a sa gestuelle, cette technique un peu nonchalant­e et cette capacité à physiqueme­nt répondre présent dans toutes les situations, pose Pierre Mankowski, son sélectionn­eur en U20. Je vois toujours le même Paul Pogba. On a toujours été trop sévère avec lui, car on attendait énormément de ce joueur. On pensait qu’il allait tout éclater et dès que les résultats étaient décevants, on lui tombait dessus car il pouvait avoir un côté énervant. »

Digard : « Il fait la Coupe du monde que les Français attendaien­t »

Pogba a toujours eu ce penchant pour le show, l’envie de régaler, parce que sa technique au-dessus de la moyenne lui permet de faire des choses que les autres ne peuvent pas réaliser. Or, il a mis du temps à capter qu’il ne pouvait pas tout faire, seul, dans un match. Didier Deschamps s’est efforcé de lui expliquer ce qu’il attendait de lui et a fini par le convaincre qu’en se mettant au service des autres, il allait enfin donner sa pleine mesure. Ancien champion du monde, Vieira apprécie la métamorpho­se. « Par rapport à ce que j’ai pu voir sur les derniers matchs de la Coupe du monde, il a franchi un cap. Il lui a fallu peut-être un peu de temps pour comprendre l’importance de son rôle dans l’équipe. Mais ce joueur sait tout faire ! » « Il a un peu changé son style, s’est mis au service du collectif, affirme Didier Digard. En gros, il a eu l’intelligen­ce de ne plus faire du Pogba. Il fait la Coupe du monde que les Français attendaien­t. Du coup, on ne le juge plus comme avant. » Il a profité de l’émergence de Kylian Mbappé qui s’occupe souvent de tout devant, mais aussi de l’esprit de sacrifice de N’Golo Kanté à ses côtés, ce qui ne l’oblige plus à récupérer, organiser le jeu, faire marquer et marquer. « Son jeu a évolué durant la compétitio­n, il a su se remettre en question, appuie Samuel Umtiti. Il aide le groupe à aller de l’avant. Sur le terrain, il fait des efforts pour bosser et aider le collectif, peutêtre plus qu’avant. Il a aidé tout le monde, on en avait besoin pour cette compétitio­n. C’est là qu’il a progressé. » La bascule s’est, donc, effectuée en Russie, à en croire un membre de la délégation. « Il s’est affirmé, a pris une nouvelle dimension, c’est vraiment devenu l’un des patrons de ce groupe. » Dans l’escouade France, ils sont trois à se partager le leadership : Hugo Lloris, Raphaël Varane et, donc, Paul Pogba, qui apparaît moins foufou que par le passé dans la vie de groupe mais davantage rassembleu­r. Le départ de ‘‘Tonton Pat’’, à qui il voue un profond respect, lui a sans doute permis de s’émanciper, de ne plus être « le petit de… ». « Je le connais depuis longtemps, il a toujours été un leader, il a ça en lui, poursuit Umtiti, avec qui il a été champion du monde U20, en 2013. Il peut parler et donner des conseils, il est écouté. »

« Les gars, on n’a encore rien fait »

« Patron », « leader », « cadre », des termes qui veulent tout et rien dire au sein d’un groupe, car c’est surtout par la qualité de ses performanc­es sur le terrain qu’un joueur peut revendique­r tel ou tel statut. En ce moment, Pogba est crédible, parce qu’il est performant. Du coup, ses mots, nombreux dans le vestiaire et ailleurs, sont beaucoup plus audibles que par le passé. Après la qualificat­ion contre la Belgique, c’est lui qui a pris la parole et a fixé la marche à suivre. « Les gars, on n’a encore rien fait », clame-t-il depuis plusieurs jours. Un message qu’il a prolongé face aux journalist­es, hier, où on a retrouvé un garçon animé, voire possédé, par cette quête suprême. « A l’Euro, on pensait que c’était déjà fait (avant la finale), a-t-il lancé, beaucoup plus sérieux que lors de son premier passage en conférence de presse, en début de Mondial. On pensait que la finale c’était la demie contre l’Allemagne, je ne vais pas mentir. Contre le Portugal, on pensait que c’était gagné d’avance. On ne veut pas faire la même erreur, l’aborder différemme­nt. » Qu’il le veuille ou non, Paul Pogba a changé, en bien. Le regard des autres, aussi, même s’il prétend se foutre des critiques, alors qu’il dit tout l’inverse dans la minute qui suit. Mais ça, c’est propre à tout le monde, ou presque…

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