Le péril américain
« Les Etats-Unis ont toujours eu un statut à part sur la scène internationale. Ils en ont usé et abusé. »
Du G au sommet de l’Otan, le scénario est invariable. Les chefs d’Etat affichent ce mélange de gravité et de décontraction qui sied aux grands du monde. Embrassades, sourires de circonstance, cordialité surjouée. Débarque un énergumène aux cheveux jaunes et à la carrure d’ancien catcheur. Lui ne sourit pas. Jamais. Rictus de bouledogue, regard perdu au loin pour marquer le dédain que ces nains lui inspirent, il fraie son chemin à grands coups d’épaules et se plante au centre de la photo. On ne voit plus que lui, qui ne voit personne. Deux jours durant, tout tournera autour de lui, lui et lui. Il impose son agenda, trépigne, boude, menace. Il méprise les règles, piétine les convenances, humilie ses alliés (aujourd’hui Theresa May, hier Merkel et Macron). Et part sans se retourner en clamant qu’il a gagné – que ce soit vrai ou non. Pour lui, les faits ne comptent pas. Depuis un siècle, forts de leur leadership militaire et technologique, de leur poids économique et démographique, les Etats-Unis ont toujours eu un statut à part – une sorte de carte privilège – sur la scène internationale. Le fameux exceptionnalisme américain. Ils en ont usé et abusé. Avec Trump, tout change. Ce n’est plus le primat de l’Amérique qui est en cause (souvent contesté, voyez de Gaulle, et pourtant toléré, voire souhaité, quand il faisait pièce à la puissance soviétique), c’est le péril américain. La menace que fait peser sur l’ordre (ou le désordre) du monde un président hors cadre. Car au fond, tous ses prédécesseurs, pour le meilleur et parfois le pire, avaient plus ou moins admis que la puissance de l’Amérique lui conférait des devoirs envers la planète. Lui pas. Son America first est un America alone. L’égoïsme national, son unique boussole. Unilatéraliste (et non isolationniste comme on l’a parfois dit), c’est-à-dire adversaire déclaré du multilatéralisme, il ne s’emploie pas seulement à faire prévaloir les intérêts américains mais à saboter tout ce qui peut ressembler à l’esquisse d’une gouvernance mondiale. Pour l’heure, personne n’a réussi à le contrer. « La raison du plus fort » fait loi. C’est sur les effets à moyen et long terme que les experts s’interrogent. Pour les uns, le moment Trump n’est qu’un mauvais moment à passer. Une aberration historique, fruit d’une erreur du peuple américain. En , au plus tard, il retournera à son business et à ses shows télé, et les affaires du monde reprendront leur cours lent et obstiné vers un avenir commun. Pour les autres, Trump n’est pas une anomalie mais un symptôme. Un marqueur. Son élection, variante US de la vague national-populiste qui balaie toute la planète (Europe, Russie, Chine, Inde…), signe l’impuissance des institutions internationales à atteindre les objectifs qu’elles s’étaient donnés. Fin d’une époque. Le XXIe siècle ne sera pas celui de la coopération et des utopies universalistes. Ce sera celui des nationalismes et du chacun pour soi. Deux écoles. Qui a raison ? On permettra au chroniqueur de ne pas trancher. L’avenir n’est jamais écrit.