Monaco-Matin

«Je ne pensais pas qu’il allait me tirer dessus» Roubion

Sébastien F., le berger grièvement blessé par balles à le 23 juin, peut quitter l’hôpital Pasteur. Il raconte comment un navrant différend avec un restaurate­ur a failli lui coûter la vie

- CHRISTOPHE CIRONE ccirone@nicematin.fr

Des pansements enveloppen­t son abdomen et son flanc droit. La voix est chancelant­e, l’expression des bras encore lente. « Je me sens vidé de toute énergie », confie Sébastien F., sur son lit d’hôpital. Ce berger de  ans, venu du Var pour la transhuman­ce dans le Mercantour, y a frôlé la mort. C’était le  juin, à Roubion. Les rayons de soleil déclinaien­t au col de la Couillole. Soudain, un coup de feu a déchiré le chant de la nature. Et le ventre de Sébastien F. Dominique L., restaurate­ur à Roubion-Les Buisses, a été interpellé le lendemain matin. Les gendarmes ont réuni de nombreux éléments à charge contre ce quinquagén­aire, qui avait eu maille à partir avec le jeune berger, à l’automne. Depuis, Dominique L. séjourne en prison, mis en examen pour tentative d’assassinat. Sébastien F., lui, est tiré d’affaire. Il a consenti à livrer à Nice-Matin, sa version de cette affaire navrante qui a failli s’avérer tragique.

« J’ai sept trous. Trois dans l’abdomen, trois sur le côté, et un au dos. Le plus grave, c’était dans l’intestin… » Les bras engourdis, Sébastien désigne tour à tour son ventre et son flanc. « C’était de la chevrotine. Un fusil de chasse ou un fusil sportif, avec canon superposé. Cette image, je m’en rappellera­i… » Sébastien F. revient de loin. Ce jeune berger originaire des Ardennes mène une vie nomade, avec le haut Var pour port d’attache. Depuis le 23 juin, il séjournait à Nice. À l’hôpital Pasteur 2. Il y est arrivé dans un état critique. À présent, Sébastien F. peut quitter l’hôpital. À petits pas. «J’arrive à poser le pied. Mais le moindre pas me met KO ! » Salarié d’un groupement pastoral, Sébastien F. avait retrouvé Roubion avec son troupeau le 14 juin. Il devait y rester toute la saison, comme les précédente­s. «Ce samedi soir, comme il y avait beaucoup de brouillard, j’ai parqué les bêtes un peu plus tôt, vers 18 heures. Je suis rentré pour me poser, me changer. Cinq minutes après, il est arrivé. Il s’est garé juste derrière mon 4x4. » Sébastien F. livre sa version de la scène : « Il a ouvert la porte, a sorti le fusil et l’a appuyé sur la fenêtre. Il devait être à 6, 7 mètres. Il avait une tête de mec pas content. Il n’a pas dit un mot. Je pensais qu’il allait me menacer, je n’ai pas pensé qu’il allait me tirer dessus pour de bon. Je lui ai dit : “Fais pas ça, tu vas avoir des problèmes…” Le temps de lui dire ça et boum ! Il a tiré. »

« Fais pas ça ! »

Sébastien F. raconte sa chute, «le bruit des plombs sur le chalet en bois », le véhicule qui « redémar re en trombe ». Puis le sentiment d’impuissanc­e. «J’ai réussi à me traîner jusqu’au bord du chalet. Ça commençait à pisser le sang de partout. » La tête lui tourne. Il cherche son téléphone, du 4x4 à la caravane. Commence à paniquer. Finit par le trouver. « J’ai appelé un ami qui ne répondait pas, puis mon patron. Je lui ai dit : “Le Belge vient de me tirer dessus! Je suis au Chalet pointu. Appelle les secours !” » Par «le Belge», Sébastien F. désigne Dominique L., ce villageois interpellé dès le lendemain matin. Handicapé, mais champion de tir handisport. Les gendarmes ont saisi le fusil qui aurait servi à la sinistre besogne. Un seul coup aurait été tiré. Mais les impacts de balle sont multiples. Le rescapé a « senti comme un coup de tournevis ». Une chance : ce jour-là, le réseau téléphoniq­ue passe à la Couillole. Un restaurate­ur voisin accourt. Sébastien F. est resté conscient. «Mais à son arrivée, j’étais plus dans l’optique de respirer que de parler… » Le blessé a lâché son portable, s’est effondré sur la dalle, s’est «roulé jusque dans l’herbe» car il avait « chaud sur le béton. » Ses amis arrivent, découpent ses vêtements « pour voir tous les impacts de balle ». Un médecin local lui prodigue les premiers soins. Les gendarmes intervienn­ent, les secours aussi.

« Une histoire ridicule »

«Je ne sais pas combien de temps a pris l’évacuation, mais ça m’a paru très long… Même dans l’hélicoptèr­e, à l’hôpital, j’ai dû répéter mille fois: je vais crever, je vais crever!», témoigne Sébastien F. L’interventi­on chirurgica­le a évité une telle issue. La bonne étoile du berger aussi. Ce n’était pas gagné d’avance, souligne son avocat, Me Jacques Salvaterra: «Son pronostic vital était engagé les deux premiers jours.» Le blessé a eu le colon abîmé, la vésicule biliaire retirée, ainsi qu’un morceau d’intestin et d’estomac – «C’est parti en infection, je suis reparti au bloc.» Soulagé d’être en vie, le berger reste «dégoûté d’être dans cet état-là, d’être loin de mes chiens, de mes brebis. J’en pleure! Tout ça pour une histoire ridicule…» Cette histoire, c’est ce violent différend survenu huit mois plus tôt. Le groupe de bergers fêtait la fin de la (Photo Franck Fernandes) transhuman­ce au restaurant de Dominique L. Pour un motif futile, les deux hommes en sont venus aux mains. Furieux, Sébastien F. lui a administré une raclée. Dans cette affaire, non réglée, il apparaît comme l’agresseur. «J’ai peut-être surréagi, concède-t-il. Mais deux coups de fusil pour deux coups de poing, ça fait beaucoup…» Pour Me Salvaterra, Sébastien est meurtri dans son métier-passion autant que dans sa chair. «On lui enlève une partie de lui-même. C’est une grande épreuve. II restera marqué à vie». Pour l’heure, Sébastien F. reste abasourdi: «Quand je suis revenu [à Roubion], on m’a dit qu’on me ferait “des sales coups”. J’ai pensé qu’on risquait de crever les pneus de ma voiture, pas me tirer dessus à coups de fusil!» L’enquête criminelle est en cours. La présomptio­n d’innocence reste de mise. Contacté, l’avocat de Dominique L. n’a pas souhaité réagir, invoquant le secret de l’instructio­n.

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Le blessé sur son lit d’hôpital avec son avocat, Me Jacques Salvaterra.

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