Jan Fabre, l’expo de l’été à la Fondation Maeght
Le Flamand Jan Fabre investit la Fondation à Saint-Paul-de-Vence. Le cerveau dans tous ses états, sur le thème « Ma nation : l’imagination »
Il fait partie de ces grands qui vous raccompagnent à l’issue de l’entretien jusqu’au seuil de la porte, comme si vous étiez important. Courtois, attentif, élégant, souliers façonnés sur-mesure à Milan «pour deux cents euros» et trench de circonstance, puisque ce jour-là, il pleut dru sur Saint-Paul-de-Vence. «Avez-vous aimé l’exposition?», s’inquiète soudain Jan Fabre. «Si c’est le cas, dites-le bien, ça me changera de Télérama ! » L’hebdomadaire, qui l’a étrillé pour une exposition chez Templon, ne viendra peut-être pas à la Fondation Maeght. Mais on y attend France 2, Le Monde, Le Figaro… Que l’on apprécie ou non son questionnement, sa quête de beauté et son sens de l’autodérision, Jan Fabre est un artiste avec lequel il faut compter.
Votre exposition au Louvre en a reçu un large écho. Fier? Si l’on peut parler de fierté, elle est venue après. Sur le moment, c’était extraordinairement intimidant. Pendant l’installation, je me suis rendu compte que j’exposais parmi les oeuvres de Jérôme Bosch, un artiste plus contemporain que bien des artistes de notre époque. J’avais vraiment le sentiment d’être un nain parmi les géants. Mais cette semaine, j’étais à Anvers pour inaugurer mon retable dans une église où sont présents Rubens, Van Dyck et Jordaens. Là encore, c’est le genre d’expérience qui rend humble…
Un retable en élytres de scarabées. Savez-vous que certains s’en émeuvent ? C’est ridicule. Pour le plafond de la salle des glaces du Palais royal de Bruxelles, j’avais déjà utilisé , million de carapaces. Mais il faut savoir que ce sont des restes. Exactement comme les coquilles de moules chez nous! Dans certains pays d’Afrique et d’Asie, on consomme ces insectes, très riches en protéines. J’ai essayé, je ne peux pas dire que ça m’ait beaucoup plu…
C’est donc très différent des cochons tatoués de votre compatriote Wim Delvoye ? Absolument. Je respecte son travail, mais il est très cynique. Moi, je crois en l’humanité et en la beauté. C’est une différence importante.
Le cerveau, au coeur de l’exposition de la Fondation Maeght, en est le symbole ?
Le cerveau, c’est la terra incognita. J’ai toujours travaillé autour du corps. Forcément, j’en suis venu à m’intéresser à la partie la plus sexy de notre anatomie. Car sans imagination, pas d’érection ! Donc le cerveau, mais partout et dans toutes les matières. Dessins, modèles en silicone, en bronze et en pierre. Les sculptures en marbre que vous voyez ici sont entièrement faites à la main, au ciseau et au burin, à Carrare. Les praticiens sont des virtuoses incroyables et avec moi, ils sont mis à rude épreuve.
Mais cet organe est étrange. Mal connu, d’aspect inquiétant. Mal connu, c’est certain. Inquiétant, pas pour moi. J’ai fait mes premiers dessins « de sang » il y a si longtemps ! Vous savez que les artistes de la Renaissance en mélangeaient aux pigments. C’est une pratique immémoriale. Or, il est frappant de constater qu’aujourd’hui encore, les fabricants de protections périodiques font leur publicité avec un liquide bleu. Comme si le sang était sale ou r épugnant. Regardez : même dans les publicités pour un déodorant, on montre des footballeurs parce qu’ils ne peuvent pas sentir la transpiration. C’est dément.
Il y a aussi de l’humour dans votre oeuvre... Je me suis représenté, chevauchant mon cerveau, rênes à la main, pour montrer que, quoi que l’on pense, on ne contrôle rien vraiment. Une autre pièce montre un alignement de quatre cerveaux. Einstein, Gertrude Stein, Wittgenstein, Frankenstein. «Stein» comme la pierre, trait d’union entre un scientifique, une galeriste, un philosophe et l’emblème de l’intelligence artificielle. A eux quatre, le cerveau dans toutes ses dimensions, le cerveau ultime.
Nous ne sommes jamais celui que nous étions la veille, selon vous. N’avez-vous pas peur de vieillir ? Non, car chaque jour on progresse. Raison pour laquelle il est beau de vieillir. Regardez Mick Jagger, il fait du rock’n’roll à ans, et alors? Mon père disait toujours que le style, ça vient avec l’âge. Jeune, tout le monde est beau.
Vous avez fait pour la Biennale de Saint-Paul une sculpture montrant un homme tenant la croix. Pourquoi ce symbole? Dans mon travail, il s’agit d’une croix païenne. Un arbre de vie, plutôt que le symbole dont les catholiques se sont emparés. J’avais présenté un modèle plus petit dans une cathédrale, à Anvers, où l’évêque m’a dit un jour que cette sculpture lui évoquait son propre doute, quotidien. Cette croix en équilibre précaire, qui peut basculer à chaque instant.
Comme la beauté? Rien n’est plus fort que la beauté. Mais je ne parle pas de la beauté qui désigne quelque chose de joli. Pour moi, la beauté, c’est l’alliance de l’éthique et de l’esthétique. Telle qu’on la rencontre chez Picasso, Giacometti ou Miró. Tous sont venus à Saint-Paul. Exposer à la Fondation Maeght, c’est avoir la chance de prendre part à l’Histoire.