Monaco-Matin

Et si vous aidiez ces chercheurs à protéger le mérou ?

Pour convaincre les décideurs de préserver cette espèce vulnérable, une étudiante enquête. Elle a mis en ligne un questionna­ire afin de déterminer sa valeur économique

- SOPHIE CASALS scasals@nicematin.fr

Le moratoire qui interdit la chasse sous-marine et la pêche au hameçon du mérou court jusqu’en 2023, pointe Patrice Francour, professeur d’écologie à l’Université de Nice. Mais quand on veut faire passer un nouveau moratoire, on se retrouve face aux lobbies de la pêche et de la chasse.» Aussi, ne baisse-t-il pas la garde. Cet Azuréen, à l’origine de la création du Groupe d’Etudes du Mérou, oeuvre depuis plus de trente ans pour sauver le plus gros poisson de la Méditerran­ée. Un combat au long cours qui a porté ses fruits. Petit à petit, les population­s se sont reconstitu­ées. Mais la situation reste fragile. « Si on lève l’interdicti­on de prélèvemen­t, les efforts de ces vingtcinq dernières années seront anéantis en l’espace de six mois à un an. » Il compte donc sur les cinq ans qui restent avant la fin du moratoire pour affûter son argumentai­re en l’enrichissa­nt d’un volet économique.

Combien rapporte-t-il... quand il est vivant ?

« Un mérou vivant vaut plus qu’un mérou mort. Mais le problème, c’est qu’on ne dispose pas de données précises. On veut montrer que l’enjeu de sa protection n’est pas juste une lubie de quelques écologiste­s barbus, il y a une justificat­ion économique », insiste-t-il dans un sourire. L’attrait que représente cette espèce pour les plongeurs ou les apnéistes est évident. Lors d’une première enquête réalisée à PortCros, en 2006, 95 % des 300 plongeurs interrogés indiquaien­t qu’ils venaient dans cette réserve marine en raison de l’abondance des mérous. « Comme il vit jusqu’à 50 ou 60 ans, un mérou sera vu de très nombreuses fois durant sa vie par des curieux qui plongeront à sa rencontre. Toutefois, le calcul n’est pas aussi simple pour apprécier la valeur économique du mérou. On a besoin de données pour estimer le poids de l’activité plongée, pour une région et au-delà. Ces arguments sont importants, car ils nous aideront à justifier le maintien des mesures de protection. » Il a donc fait appel à des économiste­s. Il se lance dans un rapide calcul de ce qu’il rapporte s’il est tué pour être consommé. « À25ou30 euros le kilo, si on en tire 20 kilos, cela fera un maximum de 600 euros. » Et combien vaut-il vivant ? « Beaucoup plus.» La réserve marine de Port-Cros estime, dans une de ses brochures, le prix d’un mérou en vie dans son milieu, observé par 500 plongeurs par an, à 7 500 euros (pour une plongée à 15 euros). Sur quarante ans, la valeur s’envole.

Donner un prix à la nature pour la protéger

« Mais le calcul est plus complexe », note Patrice Francour. À ses côtés, Jean-Charles Briquet-Laugier, économiste, acquiesce : « Une plongée ne se résume pas à l’observatio­n d’un seul mérou, mais à un ensemble d’éléments constituti­fs du milieu sous-marin, dont cette espèce n’est qu’une partie ». Ils se tournent vers Zaineb Bounouas. Car c’est à cette étudiante en master 2 « management et économie des territoire­s » qu’a été confiée cette mission inédite. Donner un prix au mérou... vivant ! Lunettes sur le nez, ordinateur portable sous le bras, elle s’est plongée dans ces travaux au printemps. « Sur l’impact de l’activité plongée et du tourisme qui s’y rattache, on dispose de très peu de littératur­e », explique-t-elle. Encadrée par les économiste­s Jean-Charles Briquet-Laugier et Christian Longhi, elle a préparé

une enquête pour récolter des informatio­ns. « Plus nous aurons de contributi­ons, plus notre travail sera robuste », pointe-t-elle. Les résultats seront disponible­s à l’automne. « Donner un prix à la nature ou à une espèce n’est pas une fin en soi, conclut Patrice Francour, mais c’est un argument supplément­aire, associé aux arguments écologique­s, pour améliorer notre gestion de la biodiversi­té et du monde vivant. » Il compte sur les travaux des économiste­s pour convaincre les décideurs de la nécessité de mesures de surveillan­ce. « Si on montre que le mérou est une ressource économique, on peut déployer des équipes pour éviter le braconnage, faire de la sensibilis­ation et ainsi favoriser le développem­ent du tourisme marin. »

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(Photo Philippe Joachim) À Port-Cros, la présence du mérou attire de nombreux plongeurs. Atout pour l’activité touristiqu­e, des universita­ires veulent évaluer précisémen­t ce que représente économique­ment le mérou... vivant.
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