Serge Scionico : « C’est le seul jour où je fais du mal au Christ »
Il a beau avoir été ballotté durant sa jeunesse sur le continent européen, Serge Scionico n’en reste pas moins un vrai Roquebrunois de coeur. Si cet employé de la Société des Bains de Mer occupe des fonctions de contremaître-serrurier, il est aussi le responsable de l’équipe de football loisirs de l’Avenir Saint-Roman. Marié, trois enfants, on l’appelle dorénavant papy, la faute à sa petite-fille. Né à Geel en Belgique, « mon papa travaillait dans le nucléaire et j’ai eu un parcours européen avant les autres », dit-il, il posera ses valises dans la cité à douze ans et sera scolarisé à Don Bosco (Nice). «Je suis issu d’une vieille famille roquebrunoise, les Revelly, j’ai vécu à Carnolès et j’y habite encore». Ses souvenirs familiaux, il les évoque d’ailleurs avec émotion, parfois la rétine s’humidifie. « Mon arrière-grand-père et mon grand-père participaient déjà à la Procession, moi je l’ai faite pour la première fois en 1970, j’avais 7 ans. C’était les retrouvailles avec mes oncles, ma grand-mère… On mangeait dans la maison de famille au village en face de l’ancienne poste. Je voyais qu’il y avait déjà des enfants et je me suis retrouvé à porter le panneau symbolisant l’un des tableaux de la Procession ». Depuis, Serge ne ratera quasiment aucune procession du 5-août. «Sauf l’année où je suis parti à l’armée, sinon je décale mes vacances. C’est important pour moi ».
« Une pensée pour les ancêtres »
« À partir de 17 ans, j’ai commencé à jouer le rôle d’un légionnaire romain, je suis dans le deuxième tableau, la flagellation de Jésus», poursuit le figurant. S’il n’a pu reprendre le rôle de son grand-père, l’attachement à la Procession du 5août est pour lui d’ordre viscéral. « À 7 ans, je prenais déjà ce rôle au sérieux, d’un autre côté c’était un jeu. Tu ne réalises que plus tard au regard de ce que les anciens ont fait. Je pense toujours aux ancêtres, je regarde la maison familiale vendue avec un pincement au coeur» .Et lorsqu’on aborde le sujet de la foi, la réponse ne se fait pas prier, «Je suis catholique, croyant et pratiquant. J’ai été éduqué comme ça ».
Fruit de deux parents carnolésiens nés en 1924 et 1926, Serge Scionico a les racines roquebrunoises qui coulent dans ses veines. La transmission du serment fait depuis 1467 : il en est l’incarnation.
Quid de l’évolution de la Procession?
Quand on a été éduqué par un père militaire qui a officié au sein des Forces Françaises de l’Intérieur, certaines valeurs sont forcément intangibles. Et le jugement est naturellement d’une droiture légitime lorsqu’on évoque l’évolution de la Procession. « Elle est en phase avec l’évolution de notre société. Le respect est moindre, certaines personnes chahutent un peu parmi les figurants… Dans le passé, il y avait beaucoup plus de retenue, c’était plus silencieux. Les gens qui viennent voient ça parfois comme un spectacle, c’est le monde actuel. Lorsqu’on défile on représente l’histoire, l’identité de Roquebrune. Quand il y a la fête, il faut la faire, mais il y a un moment où il faut être sérieux», martèle Serge Scionico. Loin de vouloir donner des leçons de vie, il se veut un simple observateur. Cette fête du 5-août, il l’aime mais ne se voile aucunement la face lorsqu’on aborde le sujet de la baisse de la fréquentation depuis plusieurs années. « Pour moi, la date du 5-août ne doit pas changer. On a pourtant un village magnifique qui date du Xe siècle mais, à mon avis, on ne fait pas assez de choses pour le mettre en relief ce jour-là. Si on regarde ce qui se passe dans les autres communes, on voit des fêtes médiévales avec des gens costumés. Cela attire du monde. Cela avait été fait lors des 700 ans des Grimaldi, c’était une journée avec beaucoup de jeux dans le village qui fut une belle réussite ».
Et la relève ?
Chaîne humaine immuable à travers les siècles, la Procession est une affaire de transmission générationnelle, de relève. « Oui, elle est là, il y a toujours eu des gens qui viennent. Ma fille avait commencé, puis a dû arrêter pour raisons professionnelles. Mais il y aura toujours papa ou tonton, je ne suis pas du tout inquiet. Même quand il manque du monde, parce que les gens n’ont pas averti de leur absence, on a toujours récupéré des personnes pour participer». Avant de partir pour la procession dimanche, Serge Scionico, comme toutes les années, se recueillera en l’église Sainte-Marguerite. Il priera puis endossera son rôle pour environ deux heures. « C’est le seul jour où je fais du mal au Christ », signe-t-il. La Procession, lui, il la fera pieds nus.