Monaco-Matin

«L’origine de ma carrière? Une place à  francs sur les marches du Parvis»

C’est ainsi que Christophe Rousset, enfant de Menton, est devenu l’un des meilleurs musiciens baroques européens

- ANDRÉ PEYREGNE

Il y a un demi-siècle, le Festival de musique proposait aux enfants de Menton des places à 5 francs sur les marches de l’église Saint-Michel, en contrebas de la scène. Une année, un garçon de 7 ans, qui venait passer chaque été ses vacances chez sa grand-mère à Menton, décida par curiosité de retirer 5 francs de sa tirelire pour s’offrir une place au festival. Un choc. Un éblouissem­ent. L’émerveille­ment de la découverte de la musique classique. L’enfant deviendrai­t musicien ! Ça tombait bien, la grand-mère – qui appartenai­t à la famille de la menuiserie Bosio, aujourd’hui disparue - avait un piano chez elle. Une vingtaine d’années plus tard, l’enfant était devenu l’un des clavecinis­tes et chefs d’orchestre baroques les plus prisés en Europe. Ce chef d’orchestre dirigeait le concert de mardi soir sur le Parvis Saint-Michel : Christophe Rousset. Au milieu du public se trouvaient ses parents qui, depuis plusieurs années, se sont retirés à Menton. Les cinq mètres de distance qui séparaient les marches d’escalier où il était assis, enfant, et le centre de la scène où il se trouvait mardi, symbolisai­ent le parcours d’une carrière réussie. Christophe Rousset avait devant lui, mardi, l’orchestre des « Talens lyriques » qu’il a formé en 1991, et avec lequel il effectue des tournées internatio­nales, ainsi qu’un groupe de chanteurs baroques de premier (Photo Jean-François Ottonello)

ordre, dont la mezzo-soprano Eva Zaicik, « révélation de l’année » aux Victoires de la musique. Il dirigea deux opéras, «Actéon» de Marc-Antoine Charpentie­r et «Didon et Enée» de Purcell. Il fit cela avec un soin infini, avec un sens du drame et des nuances, avec une précision extrême qui faisaient l’admiration du public. L’ensemble du Parvis semblait vibrer du frémisseme­nt de cette musique vieille de quatre siècles. Parfois, se penchant vers ses musiciens et creusant ses paumes de mains, Christophe Rousset donnait l’impression d’aller puiser la musique au coeur de son orchestre comme il l’aurait fait pour recueillir une eau de source. Les chanteurs chantaient avec jubilation, jusqu’à cet air sublime de la mort de Didon, dont les volutes s’enroulaien­t autour des colonnes de la basilique comme un feuillage grimpant. À cet instant, le public retenait son souffle. Plus un bruit ne se faisait entendre sur le Parvis. Il n’y avait rien d’autre que le frisson d’une musique à la beauté sans égale. Et tout cela existait parce qu’un jour un enfant avait retiré 5 francs de sa tirelire pour venir assister sur les marches de l’église, là en contrebas, à son premier concert au Festival de Menton…

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Christophe Rousset passait ses vacances chaque été chez sa grand-mère à Menton.

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