La célèbre criminologue roulait pour la... mafia !
Réputée pour son engagement contre le crime organisé, Angela Tibullo a été arrêtée en Italie. Elle aurait soudoyé des médecins pour obtenir des certificats médicaux afin d’alléger les peines de prison des parrains de la ‘Ndrangheta
Elle est passée de la télé à la prison, du monde de l’antimafia aux cosche de la ‘Ndrangheta, la redoutable criminalité organisée calabraise. La criminologue Angela Tibullo, 36 ans, voulait être la « reine du pénitencier » en corrompant les médecins chargés de certifier l’incompatibilité des affiliés d’une famille mafieuse de Rosarno (Calabre, sud de l’Italie) avec la vie derrière les barreaux. Arrêtée la semaine dernière dans une vaste opération (45 prévenus) des juges d’instruction de Reggio de Calabre, elle est accusée d’avoir offert aux médecins de l’argent ou bien des prestations sexuelles avec les prostituées de la ‘Ndrangheta contre des rapports médicaux favorables pour ses clients. Selon les magistrats italiens, la méthode de la criminologue serait caractérisée par un « asservissement de son activité professionnelle exercée en fonction des exigences de ses clients déjà mis en examen ou condamnés ».
«Avantages pénitentiaires»
Pour comprendre les motivations de l’arrestation, il faut lire les mots des magistrats : la criminologue aurait donné « une contribution consciente au renforcement de l’organisation mafieuse » en assurant aux hommes du clan « des avantages pénitentiaires, soit sous forme d’une reconnaissance d’un régime pénitentiaire favorable aux détenus, soit sous forme de bénéfices illicites, tels que l’accélération des temps pour l’obtention du bracelet électronique ». Qu’y a-t-il derrière l’opération des forces de l’ordre italiennes ? Le système dévoilé par les enquêteurs illustre bien le monde de fonctionnement de la ‘Ndrangheta. «La criminalité organisée est comme une molécule d’oxygène : les deux atomes d’hydrogène représentent la violence, celui d’oxygène symbolise son rapport avec le pouvoir et sa capacité à s’infiltrer au sein de la société », décrypte Antonio Nicaso, professeur à la Queen’s University en Californie et fin connaisseur de la mafia calabraise. « La ‘Ndrangheta n’est pas un groupe d’hommes violents partant à la conquête d’un territoire. Elle est capable d’entretenir des rapports de collusion avec les professionnels afin de perpétuer son pouvoir », poursuit-il, en soulignant que le phénomène mafieux préexiste à la formation de l’État italien en 1 861.
Système de pouvoir
La ‘Ndrangheta doit être interprétée plus comme une forme de gouvernement du territoire que comme un groupe de trafiquants ou de criminels, selon Federico Varese, criminologue de l’université d’Oxford. Il souligne le concept de « bourgeoisie criminelle », expl oitée par les organisation s pour étendre leur contrôle. «Les mafias et certains milieux bourgeois entretiennent des relations de connivence. La ‘ndrangheta distribue des avantages et se nourrit en élargissant ses sphères d’influence », analyse-t-il. Cette arrestation n’est cependant pas une première en Italie. Les mafias ont appris depuis des décennies à opérer dans une « zone grise » fréquentée par des sujets hétérogènes, tels des entrepreneurs, des fonctionnaires ou bien des professionnels. «Les organisations profitent d’appuis de personnes pas forcement internes au milieu. La ‘Ndrangheta n’est pas un environnement cohérent. C’est des sujets différents, internes et externes, qui trouvent une convergence d’intérêts », observe Rocco Sciarrone, sociologue spécialisé en criminologie à l’université de Turin. Chacun fait son travail : les mafias utilisent la force, alors que les professionnels se servent de leur savoir-faire.
Présente en région Paca
Cette organisation criminelle présente partout dans le monde – aussi en région Provence-Alpes-Côte d’Azur –, avait embauché Angela Tibullo, un nom connu dans le monde de la justice italienne. En contact direct avec les forces de l’ordre et les fonctionnaires dans beaucoup de prisons italiennes, ses services avaient un prix. « Ce papier coûte 10 000 », disait-elle au chef du clan Grasso. Le système de connivence a été dénoncé par un médecin inspecteur qui ne s’est pas plié aux propositions de la criminologue. Il a tout raconté aux magistrats de Reggio de Calabre.