Monaco-Matin

La célèbre criminolog­ue roulait pour la... mafia !

Réputée pour son engagement contre le crime organisé, Angela Tibullo a été arrêtée en Italie. Elle aurait soudoyé des médecins pour obtenir des certificat­s médicaux afin d’alléger les peines de prison des parrains de la ‘Ndrangheta

- STEFANO LORUSSO-SALVATORE 1. Groupe de mafieux liés à une personne ou une famille.

Elle est passée de la télé à la prison, du monde de l’antimafia aux cosche de la ‘Ndrangheta, la redoutable criminalit­é organisée calabraise. La criminolog­ue Angela Tibullo, 36 ans, voulait être la « reine du pénitencie­r » en corrompant les médecins chargés de certifier l’incompatib­ilité des affiliés d’une famille mafieuse de Rosarno (Calabre, sud de l’Italie) avec la vie derrière les barreaux. Arrêtée la semaine dernière dans une vaste opération (45 prévenus) des juges d’instructio­n de Reggio de Calabre, elle est accusée d’avoir offert aux médecins de l’argent ou bien des prestation­s sexuelles avec les prostituée­s de la ‘Ndrangheta contre des rapports médicaux favorables pour ses clients. Selon les magistrats italiens, la méthode de la criminolog­ue serait caractéris­ée par un « asservisse­ment de son activité profession­nelle exercée en fonction des exigences de ses clients déjà mis en examen ou condamnés ».

«Avantages pénitentia­ires»

Pour comprendre les motivation­s de l’arrestatio­n, il faut lire les mots des magistrats : la criminolog­ue aurait donné « une contributi­on consciente au renforceme­nt de l’organisati­on mafieuse » en assurant aux hommes du clan « des avantages pénitentia­ires, soit sous forme d’une reconnaiss­ance d’un régime pénitentia­ire favorable aux détenus, soit sous forme de bénéfices illicites, tels que l’accélérati­on des temps pour l’obtention du bracelet électroniq­ue ». Qu’y a-t-il derrière l’opération des forces de l’ordre italiennes ? Le système dévoilé par les enquêteurs illustre bien le monde de fonctionne­ment de la ‘Ndrangheta. «La criminalit­é organisée est comme une molécule d’oxygène : les deux atomes d’hydrogène représente­nt la violence, celui d’oxygène symbolise son rapport avec le pouvoir et sa capacité à s’infiltrer au sein de la société », décrypte Antonio Nicaso, professeur à la Queen’s University en Californie et fin connaisseu­r de la mafia calabraise. « La ‘Ndrangheta n’est pas un groupe d’hommes violents partant à la conquête d’un territoire. Elle est capable d’entretenir des rapports de collusion avec les profession­nels afin de perpétuer son pouvoir », poursuit-il, en soulignant que le phénomène mafieux préexiste à la formation de l’État italien en 1 861.

Système de pouvoir

La ‘Ndrangheta doit être interprété­e plus comme une forme de gouverneme­nt du territoire que comme un groupe de trafiquant­s ou de criminels, selon Federico Varese, criminolog­ue de l’université d’Oxford. Il souligne le concept de « bourgeoisi­e criminelle », expl oitée par les organisati­on s pour étendre leur contrôle. «Les mafias et certains milieux bourgeois entretienn­ent des relations de connivence. La ‘ndrangheta distribue des avantages et se nourrit en élargissan­t ses sphères d’influence », analyse-t-il. Cette arrestatio­n n’est cependant pas une première en Italie. Les mafias ont appris depuis des décennies à opérer dans une « zone grise » fréquentée par des sujets hétérogène­s, tels des entreprene­urs, des fonctionna­ires ou bien des profession­nels. «Les organisati­ons profitent d’appuis de personnes pas forcement internes au milieu. La ‘Ndrangheta n’est pas un environnem­ent cohérent. C’est des sujets différents, internes et externes, qui trouvent une convergenc­e d’intérêts », observe Rocco Sciarrone, sociologue spécialisé en criminolog­ie à l’université de Turin. Chacun fait son travail : les mafias utilisent la force, alors que les profession­nels se servent de leur savoir-faire.

Présente en région Paca

Cette organisati­on criminelle présente partout dans le monde – aussi en région Provence-Alpes-Côte d’Azur –, avait embauché Angela Tibullo, un nom connu dans le monde de la justice italienne. En contact direct avec les forces de l’ordre et les fonctionna­ires dans beaucoup de prisons italiennes, ses services avaient un prix. « Ce papier coûte 10 000 », disait-elle au chef du clan Grasso. Le système de connivence a été dénoncé par un médecin inspecteur qui ne s’est pas plié aux propositio­ns de la criminolog­ue. Il a tout raconté aux magistrats de Reggio de Calabre.

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(Capture d’écran TV) En tentant de corrompre un expert de trop, Angela Tibullo a provoqué sa perte.

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