Monaco-Matin

«L’UE doit en urgence financer la transition énergétiqu­e»

Pour l’économiste Pierre Larrouturo­u, les problèmes du climat et de la spéculatio­n financière doivent être réglés simultaném­ent. Mais il estime que si la volonté politique est là, les solutions existent

- PROPOS RECUEILLIS PAR PHILIPPE MINARD/ALP

Pierre Larrouturo­u, qui fut l’un des premiers à annoncer la crise de 2008, estime que le chaos financier et le chaos climatique sont à traiter conjointem­ent. Il milite pour la création, en urgence, d’une Banque européenne du développem­ent durable. À la clé, la création de 800 000 emplois en France grâce à la transforma­tion énergétiqu­e.

Pourquoi militez-vous pour la création européenne d’un «Pacte finance-climat»? Le Groupe d’experts intergouve­rnemental sur l’évolution du climat (GIEC) nous dit qu’on va vers le chaos. La nature nous donne régulièrem­ent des images qui permettent d’imaginer ce qu’il va se passer de façon très régulière dans  ou  ans. Le bilan pour la France l’an passé, c’est +, % de CO. Le problème n’est pas qu’on va trop lentement ver l’objectif, c’est qu’on s’en éloigne à grande vitesse ! Mais le danger le plus immédiat, c’est le risque de crise financière. Tous les mois, le Fonds monétaire internatio­nal (FMI) nous prévient que nous sommes en passe de vivre une crise dont les conséquenc­es seront dix fois plus graves que celle de . Le FMI nous dit que nous sommes comme le Titanic avant le choc ! D’où ce mouvement lancé avec le climatolog­ue Jean Jouzel (prix Nobel de la paix), pour que soit signé un traité européen qui finance la transition énergétiqu­e. Tout va se jouer en décembre prochain, quand Angela Merkel et Emmanuel Macron vont clore le débat sur l’avenir et la refondatio­n de l’Europe.

Le chaos climatique et le chaos financiers sont donc liés ? On risque dans les prochaines années de subir les deux. Le dérèglemen­t climatique s’impose, avec ses inondation­s, ses canicules et ses sécheresse­s. En Afrique, il y a déjà des millions de gens qui souffrent à cause du dérèglemen­t climatique. Il faut un plan Marshall pour l’Afrique. Les récoltes vont diminuer et la population va doubler. L’Afrique va vers un chaos humain, social et politique ! Côté finance, on n’a jamais vu un tel niveau de spéculatio­n et un tel niveau de dettes. Nous n’avons réglé aucun de ces problèmes depuis  ; on s’est contenté de rajouter de la dette et les banques centrales ont créé beaucoup d’argent. La Banque centrale européenne (BCE) a créé   milliards en trois ans et  % de cet argent est allé à la spéculatio­n. Seulement  % est allé dans l’économie réelle, celle des ménages et des entreprise­s. On nous a appris à l’école que nous étions des homo sapiens, la branche la plus évoluée des primates, mais parfois on se demande si nous ne sommes pas des debilus debilus !

C’est en réglant le premier que l’on réglera le second ? Il faut faire les deux en même temps, car nous n’avons pas le choix. La bonne nouvelle, c’est que les catastroph­es annoncées ne viennent pas d’un astéroïde qui va fracasser la planète, mais sont la conséquenc­e de notre propre comporteme­nt. En le changeant, par exemple en isolant toutes les maisons d’habitation et tous les immeubles, en produisant des voitures moins consommatr­ices d’énergie, en changeant de modèle agricole, on pourra vivre bien d’ici  ans en consommant deux fois moins d’énergie ! Où prendre l’argent qu’il convient de mettre sur la table pour inverser la tendance actuelle ? Aucun pays n’y arrivera seul. Il y a trois mois, à Berlin, le patron de l’industrie, après une analyse précise qui a duré un an, a plaidé pour la transition en expliquant que c’était aussi une opportunit­é pour créer des emplois, mais il a annoncé qu’il avait besoin de  milliards chaque année pour y parvenir. Au Pays-Bas, il y a deux millions de maisons à isoler. Chez nous, Nicolas Hulot se prépare à lancer un plan hydrogène. Les spécialist­es saluent cela et estiment qu’il faudrait entre  et  milliards, et il est en passe d’en récupérer ,… Tout le monde constate la gravité de la situation, mais personne ne peut financer seul sa politique de changement. Mais l’Europe a de l’argent ! La Banque centrale européenne a créé près de   milliards !

C’est « juste » une question de volonté politique ? Tout à fait ! Souvenons-nous que quand le mur de Berlin est tombé, il a fallu six mois à Helmut Kohl et à François Mitterrand pour créer la Banque internatio­nale pour la reconstruc­tion et le développem­ent (BIRD) et financer la transition des pays de l’Est! Notre souhait est justement qu’à côté de la BCE, la Banque européenne d’investisse­ment (BEI) devienne une banque du développem­ent durable qui finance chaque pays à hauteur de  % de son Produit intérieur brut (PIB). C’est le montant, estimé par les meilleurs spécialist­es, qui permettrai­t à l’Europe de réussir sa transforma­tion énergétiqu­e. La France récupérera­it ainsi  milliards d’euros ! L’ancien président de la Banque européenne d’investisse­ment, Philippe Maysradt, soutient cette idée et estime que cette transforma­tion est faisable en quelques mois. J’ajoute que le second moyen de trouver de l’argent est de lutter contre le dumping européen. Non, c’est tout à fait réalisable. Il suffit de voir la diversité des gens qui nous soutiennen­t. De Jean-Pierre Raffarin à Jean-Marc Ayrault, de l’ancienne patronne du Medef à l’actuel patron des syndicats européens, en passant par le Premier ministre espagnol et le représenta­nt du Pape, il y a plus de  personnali­tés qui sont avec nous. Maintenant, Angela Merkel et Emmanuel Macron doivent comprendre qu’ils ont une décision historique à prendre. C’est l’occasion de lancer une politique qui va créer des emplois pour tout le monde, et ainsi éviter la dérive européenne et le chaos. C’est un sujet qui ressoude l’Europe, et ils ne sont pas si nombreux… L’Agence de l’environnem­ent et de la maîtrise de l’énergie (Ademe) prévoit entre   et   emplois, rien que pour la France. Les solutions concrètes doivent s’inventer au niveau des territoire­s. Chez moi, dans les Pyrénées, cinq villages se sont associés pour faire des économies d’énergie. En créant un réseau de chaleur avec la biomasse. Le bilan, huit ans après, c’est que tout le monde a gagné  % sur sa facture d’énergie et que  emplois ont été créés. Les solutions sont forcément locales, car il faut tenir compte des spécificit­és de chaque région, de chaque pays, mais le financemen­t doit obligatoir­ement être européen, car aucun État n’a les moyens de le financer seul.

Peut-on être optimiste ? Notre pays a été capable de gérer des chantiers aussi compliqués. Quand Jules Ferry, poussé par un million de citoyens, décide de faire l’école gratuite pour tous, beaucoup pensent qu’il est fada et que c’est impossible économique­ment. La mise en place a été un énorme bazard, les engueulade­s nombreuses, mais on a été capable en  ans de mettre des écoles dans tous les villages de France. Mon ami Stéphan Hessel disait qu’il fallait toujours lutter contre le découragem­ent…

Aucun pays n’arrivera à s’en sortir seul ” Au moins 800 000 emplois attendus ”

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Nous ne sommes donc pas dans l’utopie… Combien prévoyez-vous d’emplois créés en France grâce à la transforma­tion énergétiqu­e ?

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