Migrants : sur le(s) pas de la mort
Dès 2015, les migrants qui arrivaient à Vintimille ont été nombreux à essayer de passer la frontière par les chemins de traverse. Qu’en est-il aujourd’hui ? Reportage dans leur sillage
Le sentier démarre du village de Grimaldi. Mais la principauté de Monaco est encore loin. En distance, bien qu’on aperçoive ses gratte-ciel une fois arrivé au sommet. En ambiance, surtout. Car c’est ici que passent les migrants essayant de franchir la frontière – depuis 2015 et le début de la « crise ». Même si exilés et contrebandiers l’ont toujours utilisé. Depuis bien longtemps. Bien avant les accords de Schengen puis le rétablissement des frontières, s’entend. Trois ans après l’explosion des flux migratoires à la frontière franco-italienne, sont-ils encore nombreux ? Si l’on en juge par les amas d’affaires, laissées ici ou là pour gravir plus aisément l’étroit et vertigineux chemin, oui.
Refus d’entrée déchirés
Visiblement, beaucoup s’arrêtent, cela dit, au promontoire surplombant l’autoroute. Et l’épais grillage blanc a beau avoir été renforcé – prolongé, même, jusqu’au milieu du pont – des trous ont de nouveau été formés pour que puissent y passer des silhouettes anonymes. En direction des panneaux «France». Dans les fourrées aux alentours, au milieu des vêtements, chaussures, bouteilles d’eau, lexique édité par l’association « Terre des hommes » à l’attention des migrants du monde entier, nécessaires de toilette, sacs (vides) et autres effets personnels abandonnés dans la précipitation, quelques morceaux de papier déchirés. Envahis par l’humidité et les moustiques. Une fois reconstitués, ils s’avèrent être de récents refus d’entrée dans le territoire français, émanant des agents de la Police aux frontières de Menton. Drapeau européen mal imprimé en guise d’en-tête. Mevain et Mohmed, respectivement nés en 1984 et en 1992, originaires du Soudan, sont passés par là. Ont tenté de franchir la frontière à nouveau. De manière moins officielle, cette fois-ci. Peut-être ont-ils fait le choix de prendre le sentier jusqu’au bout, pour redescendre sur le quartier de Super-Garavan. Puis vers on ne sait quelle destination. Des symboles dessinés à la peinture plus ou moins fraîche – en forme de soleil, à moins qu’il ne s’agisse d’une main – les auront aidés à trouver leur chemin. À éviter les fatales hésitations entre divers tracés. De petits morceaux de sac plastique accrochés aux branches les auront également, peut-être, guidés vers le point culminant. Pour atteindre ce dernier, ils auront par ailleurs pu utiliser les mains courantes – des cordes d’escalade – fixées pour faciliter leur progression. Quelques mètres avant le sommet, peut-être se seront-ils un peu détendus. En attendant. Un jeu de cartes de la SNCF reste encore éparpillé. Au moment venu, ils auront vu la frontière de tranchants fils barbelés. Ils auront cherché les espaces pour s’immiscer. Une sorte d’arche a même été façonnée avec le métal rouillé. Agrémentée de petits morceaux de tissus délavés. Témoignages des gens passés. Hommage à ceux qui sont morts.
« Défendre les personnes »
Au-dessus de ce passage, sans doute auront-ils vu le panneau « France » fait à la main. Peut-être qu’ils auront même réussi à distinguer l’inscription quasi effacée :
« Don’t give up ». N’abandonne pas. Ne baisse pas les bras. Une tringle à rideau, des pierres, une corde, et un ramassis de branches, successivement disposés au sol, leur auront indiqué le chemin à ne pas prendre. Pour ne pas franchir l’infranchissable ; le tracé qui a donné son nom au « Pas de la mort ». Dans leur dos, ils auront alors laissé la banderole en tissu blanc, et le texte écrit par des citoyens solidaires italiens : « Nous défendons les personnes, pas les frontières ».
Peut-être. Car la grande majorité n’y parvient pas.