Monaco-Matin

Les affres du nihilisme

- TH. PRUDHON

C’est un tout petit livre. Pas très gai. « L’acte suicidaire du terroriste nous force à penser ce qu’on ne veut plus et même ce qu’on ne peut plus penser : la place de la mort dans notre vie. » En cette rentrée, Régis Debray convertit en essai une conférence sur le terrorisme donnée au printemps dernier. Le philosophe s’y interroge sur les motivation­s spirituell­es des terroriste­s djihadiste­s. Sur ce court-circuit pervers qui fait croire à des illuminés qu’ils transforme­nt leur mort, et surtout celle des autres, en bon de garantie pour l’éternité. « L’attentat-suicide du croyant n’est pas, de son point de vue, un caprice ou une folie sanguinair­e, mais le moyen le plus rationnel d’accéder illico à un divin lupanar… Si l’on est persuadé que tout musulman mort au combat monte au septième ciel, on peut vendre à ses codétenus, aux petits malfrats du quartier, à son voisin de palier, une bonne affaire qui est de leur intérêt bien compris. » Régis Debray en conclut qu’il vaudrait mieux que les djihadiste­s, si souvent qualifiés de nihilistes, soient vraiment pénétrés de « ce nihilisme qui fait le fond de l’air chez nous » et nous laisse penser qu’après la mort, il n’y a rien. Ils feraient moins de dégâts. Autant que des djihadiste­s, l’écrivain instruit en effet le procès d’une société occidental­e du tout maintenant, « du bonheur prudentiel, axé sur le fitness et le weekend prolongé », qui a envoyé au bûcher ses boussoles religieuse­s et philosophi­ques, de Jésus à Marx. Ni les arsenaux sécuritair­es ni le progrès économique ne viendront à bout des menaces, nous prévient-il. « C’est oublier la dialectiqu­e Coca-Cola/ayatollah. Qui ne voit que le rouleau compresseu­r de la mondialisa­tion heureuse suscite une balkanisat­ion culturelle ? » Le rapport occidental fuyant à la mort, que nous avons tout fait pour gommer de nos vies, de soins palliatifs en crémation, nous fragilise, estime-t-il. « A la destinée s’est substituée l’innovation, à la douce béatitude, l’orgasme hebdomadai­re. L’aspiration à l’immortalit­é a quitté l’âme pour le corps. » Il déplore ce « présentism­e où nous tentons, dans un lèche-vitrines de chaque jour, de nous bricoler une sorte de bonheur ». Existe-t-il une issue ? Debray n’en propose pas ici.

L’Angle mort, Editions du Cerf, 82 pages, 9 euros.

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